Sergueï Jirnov : « Le Luxembourg fait partie des cibles de la Russie en cas d’attaque nucléaire »
Photo : Samuel Kirszenbaum
Ancien membre du KGB recruté la même année qu’un certain Vladimir Poutine, Sergueï Jirnov se dévoile dans son ouvrage L’Éclaireur. Une autobiographie dans laquelle il dévoile les dessous de sa carrière d’espion au service de l’Union soviétique mais également son infiltration en France au sein de l’ENA. Connaissant parfaitement les rouages du pouvoir en Russie, l’ancien officier des services de renseignements de l’URSS évoque avec nous son point de vue sur le conflit en Ukraine, sa vision de Vladimir Poutine mais également la place que pourrait occuper le Luxembourg dans un conflit d’une plus grande ampleur. Rencontre.
L’Éclaireur (paru chez Nimrod), retrace votre vie, et notamment votre entrée au KGB. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de l’autobiographie ?
En 2019, j’ai sorti mon premier livre qui s’intitule Pourchassé par le KGB, la naissance d’un espion, puis en 2021 KGB-DGSE, 2 espions face à face avec François Waroux chez Mareuil. Dans ce dernier, nous faisions, pour la première fois en France, un livre comparatif des deux services. Afin de répondre à des questions que l’on me posait souvent concernant mon recrutement au KGB, ou encore mes missions, j’ai sorti cette année L’Éclaireur. À travers cette autobiographie, avec Jean-Luc Riva nous avons voulu faire quelque chose qui soit lisible très facilement, autant par les professionnels que le grand public. On a donc conçu un livre agréable à lire, et plein d’anecdotes. Il se lit comme un roman, finalement. J’ai d’ailleurs eu de nombreux échanges avec mon éditeur, car nous avons mis du temps à trouver la bonne formule afin que le lecteur puisse parfaitement comprendre qui je suis et d’où je viens. Souvent, lorsque l’on parle de moi, on a l’impression que je n’ai pas de racines, pas d’amis et que je suis tombé de la planète Mars directement au KGB. Quelque part ça m’agaçait énormément : j’avais donc besoin de me raconter davantage.
Justement, comment le KGB est-il venu vers vous ?
Quand j’ai décidé d’entrer à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou, il faut savoir que c’est l’endroit où les services secrets recrutent la majorité de leurs futurs cadres pour l’espionnage. C’est une sorte de pépinière pour les futurs officiers de renseignement. Un quart des personnes diplômées de cette école intègre les différents services secrets de Russie. Lorsque l’on intègre MGIMO, et que vous réussissez le concours, vous êtes déjà promis à une carrière de haut fonctionnaire : c’est comme à l’ENA. Toutes les facultés requises pour intégrer l’école sont basée sur l’internationale. Vous êtes amené à être diplomate, économiste, journaliste ou encore juriste international. Une fois votre diplôme en poche, il y a de fortes chances que vous partiez dans un pays étranger.
En quoi consiste le métier d’un officier de renseignements extérieurs du KGB ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, être au KGB ne consiste pas à courir sur des toits et tirer à la Kalashnikov. Ça c’est pour les films . Cela ne nous intéresse pas. En fait, il faut savoir que l’espionnage c’est assez chiant. Quelque part ça s’apparente au métier de journaliste d’investigation. La seule différence est que seules les informations secrètes nous intéressent. Et que l’on n’a pas d’éthique pour les recueillir. Cela veut dire que l’on peut la voler, voire tuer, éventuellement, pour accéder à cette information. On peut donc employer la force ou encore soudoyer les gens. La seule chose qui importe, au final, c’est le résultat.
On voit les difficultés que la Russie a eu en Tchétchénie. Selon-vous est-il possible qu’il parvienne à annexer sur le long terme un pays de 44 millions d’habitants comme l’Ukraine ?
Ils pourront conquérir ce pays militairement et mettre à mal les défenses actuelles de l’Ukraine, bien évidemment. Mais annexer un pays de 42 millions d’habitants et le soumettre complètement sur le long terme, je n’y crois pas du tout.
L’arme nucléaire en Europe est une arme de dissuasion, alors qu’en Russie elle est une arme « comme une autre ». Quelles-sont selon-vous les risques que la Russie et notamment Vladimir Poutine décide de l’utiliser ?
Je corrigerais même en disant que ce n’est pas dans la tête des Russes, mais dans la doctrine militaire. Pour moi, le risque est très grand : Vladimir Poutine n’est pas une personne raisonnable et il l’a encore prouvé avec les opérations militaires qu’il a décidées d’entreprendre contre l’avis de l’ensemble des pays du monde.
Il brandit souvent l’arme nucléaire dans ses discours. Est-ce pour vous finalement une marque de faiblesse liée à une armée qui est moins puissante que ce qu’il aimerait nous faire croire ?
C’est ce que je dis depuis le premier jour ! Dès lors que quelqu’un parle d’une arme nucléaire, c’est qu’il se sent faible et incapable de faire le sale boulot.
Pensez-vous que les sanctions économiques mises en place par la communauté internationale seront suffisantes pour l’arrêter ?
Pour moi, il est impératif qu’au niveau international aucun produit russe ne soit acheté dans le monde et qu’aucun produit étranger ne soit exporté vers la Russie. Si vous faites cela, vous interdisez à la Russie d’utiliser les dollars mais également toutes les devises possibles et imaginables. En quatre semaines, la Russie est étranglée économiquement : Vladimir Poutine ne pourra mener aucune guerre.
Vous avez récemment évoqué que, s’il devait y avoir des cibles visées en Europe, symboliquement Bruxelles serait attaqué en priorité en tant que capitale de l’Europe. Le Luxembourg héberge une multitude d’institutions européennes. Pensez-vous que le pays pourrait être ciblé par la Russie, en cas d’élargissement du conflit ?
Toutes les villes abritant des institutions internationales sont sur la liste de frappes prioritaires de la Russie. En tant que membre important de l’Union Européenne, le Luxembourg fait évidemment partie des cibles de la Russie en cas d’attaque nucléaire.
Quel rôle, selon-vous, doit jouer le Luxembourg dans ce conflit ? On imagine que le fait de réduire les liens financiers entre le Luxembourg et certains oligarques russes pourrait être impactant…
Absolument ! Il y a trois pays dans ce cas : le Luxembourg, la Suisse et Monaco. À eux trois, et malgré leurs tailles, ils peuvent faire autant que le reste du monde, si ce n’est plus. Le Luxembourg a le pouvoir de faire mieux que les États-Unis dans le conflit ukrainien. Vous avez le système bancaire mondiale au Luxembourg et le pouvoir d’interrompre un nombre extrêmement important d’avoir russes.