Sofiane Pamart : « La singularité artistique se forme dans la diversité »
Photos : ©Romain Garcin
Il est l’artiste qui nous a le plus touchés ces dernières années. Véritable virtuose, Sofiane Parmart matérialise notre amour pour la musique classique et le rap dans un seul et même artiste. Bercé artistiquement par une coloration musicale extrêmement variée, il est sans aucun doute l’un des pianistes les plus doués de sa génération. Proposant une musique dont la poésie et les émotions ne s’érodent pas au fil des projets, le succès qu’il connaît depuis la sortie de son premier album solo est un juste retour des choses. À l’occasion de la sortie de Letter son dernier album et de son passage à la Rockhal, nous avons eu la chance d’échanger avec le premier pianiste de l’histoire à remplir une salle de plus de 20 000 personnes. Rencontre.
Tes parents n’étaient pas musiciens. Pourtant tu as commencé le piano très jeune, à l’âge de six ans. Comment t’est venue l’envie de jouer de cet instrument ?
À quatre ans j’ai eu un jouet sur lequel je parvenais déjà à faire quelques bribes de notes de musiques et c’est ce qui a donné envie à ma mère de m’inscrire, deux ans plus tard, au conservatoire pour que je puisse apprendre à jouer sur un vrai piano.
Tes influences musicales sont extrêmement variées. Elles vont du hip-hop, au classique en passant par les chansons à textes. Comment cet éclectisme est parvenu à faire de toi l’artiste que l’on connaît aujourd’hui ?
Le rap a été mon premier amour c’est vrai. J’ai grandi avec comme modèle les artistes qui rappaient lorsque j’étais jeune. En parallèle, par le biais de mon père, j’ai également baigné dans les chansons à textes avec des artistes comme Brassens ou Barbara que j’entendais beaucoup à la maison. Je peux aussi évoquer la découverte des sonorités du Maghreb et la multitude de couleurs que l’on retrouve dans les musiques du monde. Cette ouverture sur d’autres formes de musicalité a beaucoup nourri ma créativité. Malgré le fait que ma formation soit liée au classique, je n’ai appris à aimer cette musique qu’en l’apprenant partition après partition.
Tu as commencé ta carrière par la publication d’un album collaboratif avec le rappeur belge Scylla. Pourquoi ne pas avoir publié un album solo mais plutôt un projet piano/voix comme première œuvre majeure dans ta carrière ?
En toute sincérité, je ne me sentais pas encore prêt à sortir mon premier album solo et je nourrissais surtout l’envie de continuer à faire des rencontres et à m’en inspirer. Par ailleurs, le fait de travailler avec un rappeur m’a permis d’aller au bout d’un processus dans lequel je devais désapprendre tout ce que j’avais absorbé durant ma formation afin de me libérer complètement. Travailler dans le rap m’a permis de casser mes réflexes classiques.
Planet, et sa réédition Planet Gold, étaient de véritables odes au voyage. Lettre est quant à lui un message d’amour pour ton public. Tu peux nous raconter ce qui a nourri ta créativité pour cet album ?
Avec Planet, je me suis découvert un amour considérable pour les voyages. J’ai pris conscience à quel point je pouvais être stimulé par la découverte d’autres cultures lorsque je compose. En faisant ce voyage durant mon travail de composition, je me suis rendu compte que l’Asie m’avait beaucoup apporté en termes d’inspiration, mais qu’il me restait des choses à explorer. J’étais passé rapidement au Japon et je me suis dit que je ne pouvais pas en rester là. J’avais le sentiment qu’il fallait que j’y retourne, car j’avais encore beaucoup de choses à apprendre de ces pays. Je me suis donc installé pendant 5 mois à travers six pays différents. La différence avec la fois précédente, c’est qu’après la sortie de Planet, je me suis construit un public avec qui je pouvais échanger au quotidien et avec qui je pouvais m’enrichir davantage. Je recevais beaucoup d’amour, j’apprenais comment ma musique pouvait entrer dans la vie des gens et comment ils pouvaient être touchés par tel ou tel morceau. C’est quelque chose dont j’ai toujours rêvé. Suite à cela, j’ai eu cette volonté à travers ce deuxième album, d’évoquer ce sentiment qui fait qu’aujourd’hui, plus rien ne sera comme avant, car j’ai un public qui me suit et qui m’accompagne dans cette aventure.
C’était important pour toi de lui être reconnaissant par rapport à tout ce qu’il t’apporte ?
Oui clairement ! Je pense qu’un artiste né deux fois ; une première fois lorsqu’il arrive à créer, trouver son identité, c’est ce qui s’est passé avec mon premier album. Et une deuxième fois, à partir du moment où il assiste à l’émergence d’un public qui le suit, qui le propulse et qui nourrit en lui cette volonté de partager cette aventure. Un artiste ne peut s’épanouir que s’il a un retour en face. C’est comme une relation amoureuse. On a beau avoir tout l’amour du monde à donner, si l’on ne trouve pas la personne en face pour le partager, on ne peut pas exprimer pleinement ce que l’on ressent. C’est exactement ce qui se passe pour un artiste. La relation avec le public est essentielle dans notre vie et je voulais vraiment faire un geste à la hauteur de l’importance que les gens qui me suivent ont pour moi.
L’album est à mi-chemin entre musique classique, jazz, musique de film et récits d’aventures. C’est important pour toi, de proposer une coloration musicale aussi variée dans tes albums ?
Quand tu dis ça, ça me fait super plaisir ! Je me dis que cela se voit que je n’ai aucun problème à aller chercher des influences dans des univers extrêmement variés. Cette posture me donne vraiment l’impression d’être libre. Je veux que ma musique soit aussi libre que la vie que j’ai envie de mener. J’aime cette idée d’aller explorer n’importe quel pays et n’importe quelle culture. C’est vraiment quelque chose que je veux exprimer dans ma musique. Pour moi c’est dans cette diversité que l’on peut former une singularité artistique et que l’on peut raconter quelque chose d’intéressant musicalement et émotionnellement.
Lorsque l’on écoute tes différents albums, il en ressort une grande émotivité. On sent que la transmission de tes émotions guide tes compositions. Comment parviens-tu à faire que ta musique soit toujours aussi émouvante ?
Je suis très exigeant avec les émotions c’est vrai. Si je suis en train d’exprimer une forme de nostalgie au piano et qu’en me réécoutant le lendemain j’ai l’impression que mon morceau n’est pas à la hauteur du sentiment que j’ai voulu transmettre, je recommence, jusqu’à trouver la sonorité et les notes qui expriment parfaitement mon ressenti. Il y a des morceaux qui demandent plus d’essais avant de trouver la forme juste. Public est par exemple un morceau qui m’a demandé beaucoup de travail. Le fait d’exprimer ma relation avec le public était quelque chose de tellement nouveau pour moi, que j’ai dû y revenir plusieurs fois. À contrario, il m’arrive parfois de composer un morceau en « one shot ». C’est notamment ce qui s’est passé avec Love. Les notes sont venues d’un coup et j’avais l’impression que ça exprimait exactement le sentiment amoureux que l’on pouvait éprouver au début d’une relation. À savoir un amour proche de la perfection et qui en devient un peu naïf. J’étais absolument ravi d’avoir capturé ce moment-là.
« Apporter quelque chose de très contrasté entre le piano et mon imaginaire »
sofiane pamart
Est-ce qu’il t’arrive de mettre des semaines voir plus, pour trouver le bon accord et les bonnes sonorités ?
Oui clairement. Parfois je cherche quelque chose et j’ai encore le besoin de me nourrir de rencontres, d’aventures et d’éléments extérieurs afin de pouvoir vraiment raconter quelque chose. À d’autres moments j’essaye et je sens que cela n’a pas encore assez nourri ma créativité pour arriver à l’émotion que je veux transmettre. Au moment où je compose, c’est vraiment très rapide. Je peux mettre 10 ou 15 minutes à faire un seul morceau. En revanche le moment qui a précédé celui-ci peut prendre des jours, des semaines, voire des mois.
La pochette de ton album fait référence aux films Ghost In The Shell et Blade Runner mais également à l’écrivain Isaac Asimov, surtout connu pour ses œuvres de science-fiction. Tu peux nous expliquer comment ces genres ont également nourri ta créativité ?
J’ai envie d’apporter quelque chose de très contrasté entre le piano et tout mon imaginaire, et notamment mon amour pour l’ultra moderne, la science-fiction et les univers imaginaires comme dans les mangas. Blade Runner c’est le futur, Ghost in The Shell touche davantage la culture manga et c’est d’ailleurs pour cela que je suis allé en Asie. C’est un endroit où l’on a vraiment cette rencontre entre tradition et modernité, entre des temples millénaires et des bâtiments ultras modernes, des robots et des néons de partout. C’est d’ailleurs ce que j’apporte sur scène ; du piano solo dans la grande tradition de cet instrument auquel j’ajoute un jeu de lumière très futuriste. J’ai envie de créer une esthétique permettant de réunir ces univers. C’est pour cela que la pochette est comme ça ; un visuel très futuriste contrastant avec un album au piano très poétique.
Justement, tes visuels sont toujours extrêmement travaillés. On pense notamment à tes photos, tes pochettes d’album, tes clips… C’est important pour toi d’avoir une cohérence entre ta musicalité et la direction artistique qui entoure tous tes projets ?
Oui absolument ! J’ai clairement la volonté de créer un voyage immersif pour les gens qui me suivent. Proposer quelque qui est à la fois très marqué musicalement mais qui l’est également dans ses visuels. J’aime penser ma musique comme une œuvre globale dans laquelle toutes les facettes de mon univers et de ma créativité sont représentées et surtout qu’elles soient comprises par le public. J’ai envie que l’expérience soit la plus englobante possible.
Tu as construit un véritable pont entre la musique classique et le rap. Qu’est-ce que tu as envie de dire aux personnes qui minimisent l’importance de la musicalité dans le rap ?
J’ai l’impression que ce sont simplement des personnes qui ne se sont pas retrouvées dans une situation leur permettant d’effacer tous leurs préjugés. Je veux créer cette situation où d’un seul coup ces personnes s’ouvrent à d’autres univers. Je n’ai même pas le souhait de leur dire de changer d’avis mais simplement de les piéger dans cette pensée qu’ils ont depuis longtemps et qu’ils se disent : « finalement j’avais tort de penser ainsi ! » Pour moi, tout préjugé est lié à l’absence de situations qui vont te permettre de faire évoluer tes propres croyances. J’espère donc que ma musique participera un peu à cela. Pour moi, les préjugés sont toujours associés à l’ignorance.