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Somou : le retour de Sophie Mousel sur la partition

Par Fabien Rodrigues / Photos : ©Richard Pilnick

Sophie Mousel a failli devenir pianiste, puis non, puis peut-être bien que oui… Celle qui crève les écrans en enflamme les planches depuis près de quinze ans revient à un de ses premiers amours – auquel elle a alors donné beaucoup d’elle-même : la musique. Du piano, mais pas que, pour un premier EP tout juste sorti et qui permet de découvrir encore peu plus ce personnage complexe au charme magnétique, à travers quelques morceaux parfois intuitifs, parfois réfléchis, toujours honnêtes et inspirés. L’occasion de se poser avec Sophie autour d’un bon café et de discuter de « Somou », projet présent et futur chargé de mémoire(s)…

Salut Sophie ! On ne va pas revenir sur ta carrière de comédienne aujourd’hui, been there done that, mais on va se concentrer sur la musicienne. Tu as grandi en musique ?

Tout en fait, il y avait de la musique, même si je ne peux pas dire que je suis issue d’un foyer de musiciens professionnels. Mon père et mon oncle ont fait beaucoup de violon et mon grand-père était pianiste. C’est lui qui m’a transmis le goût pour le piano, notamment lorsqu’il m’emmenait chez son cher ami Jos Kinzé, pianiste et organiste à l’église de Diekirch à l’époque. Alors que je me formais aux grands compositeurs classiques que sont Liszt, Bartok, Schubert, Beethoven, Debussy ou Brahms auprès de différents professeurs – cela durera en gros treize ans – Jos a écrit au fil des années des petits morceaux qui m’étaient destinés et qui ont été édités plus tard dans un recueil qui baptise « Somou », pour Sophie Mousel… La boucle est bouclée avec ce nouveau projet !

Quels étaient tes affects musicaux ?

Je me suis assez rapidement découvert une sensibilité particulière pour Bach et Chopin si on parle de musique classique au sens large, mais j’ai aussi été initiée à la musique de chambre par Jean Halsdorf et au jazz par Thomas Bracht. J’ai ensuite par exemple fait partie d’un concert autour de George Benjamin, avec Pierre-Laurent Aimard à la Philharmonie et j’ai pu jouer un concerto de Mendellsohn et deux concertos de Mozart avec un orchestre, dont le premier quand j’avais 10 ans au CAPE d’Ettelbruck, là où j’ai beaucoup étudié la musique. Je me suis finalement un peu forcée à passer et obtenir l’examen du Premier Prix, avec mention Distinction, mais j’ai décidé peu après de rompre avec la pratique musicale…

Qu’est-ce qui fait que tu as alors décidé de ne pas continuer dans cette voie ?

Je pense que ce genre de rejet est inhérent à la pratique d’un art mené par le perfectionnisme, qui finit parfois par étouffer l’artiste en herbe… Je ne suis pas la seule, j’en connais d’autres qui ont décidé d’arrêter la musique, ou la danse classique aussi, à cause de cette dynamique. Je me sentais dans une sorte d’endroit où je n’arrivais plus à évoluer, à jouer des musiques déjà existantes et où j’étais sujette à beaucoup d’attentes. Cela n’a pas été bon pour ma motivation et mon amour de l’instrument et j’ai décidé de tout stopper, à un âge où justement on doit faire des premiers choix et où la pression de la performance ne me faisait pas de bien et m’a poussée à me fermer. Cela coïncidait avec mon départ pour Paris, j’ai pris la décision qui me semblait juste pour moi.

Ce projet de création, c’est justement pour renouer avec la musique avec autre chose qu’un « simple » rôle d’interprète de ce qui existe déjà ?

Oui. Il y a cette notion d’initiative, d’être à l’oeuvre, qui me fait beaucoup de bien. Je le suis en tant qu’actrice, mais de manière différente. Là, c’est du cent pour cent « moi » et c’est intéressant, car ça me place face à moi-même et ça me pousse à me poser la question : qui suis-je comme artiste si je ne suis pas sollicitée par une force créatrice extérieure ? De quoi ai-je envie ? Quand je crée cette musique, c’est très excitant, c’est comme un enfant qui expérimente et qui appuie sur des boutons pour voir ce que ça va faire…

Justement, est-ce que tu crées de manière instinctive ou plus académique ?

Je ne dirais pas académique, car je n’écris pas ma musique, même si certains morceaux vont être plus « réfléchis » que d’autres. Assez rapidement, quand j’expérimente moi aussi, j’entends où la musique pourrait aller, comment elle pourrait s’écouter si elle était produite comme il faut et ça, ça me fait vraiment kiffer. Tout le processus créatif est ensuite très excitant, jusqu’au résultat final qui me donne la grande satisfaction de l’écouter et de me dire que, oui j’ai produit, j’ai créé quelque chose qui existe à présent et que plus personne ne peut me reprendre, quelque part ! Quant au procédé en lui-même, je fais tout à l’oreille, en créant une sorte de motif central pour le morceau, puis tout se construit autour. C’est un peu pareil pour les rares morceaux avec voix : je commence à fredonner des choses qui ne veulent rien, dire, puis tout prend forme au fur et à mesure que je sens ce dont j’ai envie de parler sur cette mélodie en particulier…

Quel est le rapport entre ta musique et l’extérieur, dans un sens comme dans l’autre : qu’est-ce qui transpire et qu’est-ce qui t’inspire ?

Par mon expérience personnelle et professionnelle, le regard que je porte sur le monde a sûrement été influencé par le cinéma. J’ai toujours vu, ou voulu voir, la vie un peu comme un film, disons d’une façon assez poético-romantique, ou au contraire de façon assez brute voire brutale, mais toujours avec un certain recul… En écoutant certaines musiques, j’ai l’impression de comprendre mieux la vie. Je trouve cela fascinant à quel point une musique peut jouer sur une image : la renforcer, l’accélérer, la ralentir, la gâcher, ou danser avec elle, l’élever, la rendre drôle, aiguiser son émotion… Elle a énormément de pouvoir. Et cela m’a toujours fascinée. Elle m’aide à décrire le monde. C’est d’ailleurs marrant : à l’école, quand j’avais peut-être onze ans, on devait faire un exposé sur nos deux métiers de rêve.

J’avais choisi cascadeuse et compositrice de musique de film… Bon, j’ai fini actrice. Une sorte de compromis ? Je ne sais pas encore trop ce que je vise et je ne pense pas devoir le savoir de suite, mais ce qui est sûr c’est que je suis attirée par les musiques de films et d’ambiance, par le jeu entre musique et image. Lorsque j’écoute tel ou tel morceau, j’ai l’impression que la réalité s’élève d’un niveau, que j’étais cantonnée à celui « d’en dessous » jusque-là… C’est un sentiment très particulier et très grisant. Comme si apprécier pleinement ce qui nous entoure ne pouvait se faire qu’avec de la musique dans les oreilles ! C’est un peu cliché, mais je ne peux pas ne pas citer le grand Hans Zimmer par rapport à cela…

L’objet final de tout cela est donc ton premier EP, Solitude is fine. Tu peux nous en parler un peu plus ?

Solitude is fine est constitué de six titres que j’ai créés à des moments différents au cours des quatre dernières années. Mon élément est la terre, mais j’ai toujours aimé les musiques aériennes qui me donnent l’impression de planer et d’avoir des ailes. Je pense que cette attirance pour l’élément de l’air, pour le ciel, le lointain, l’immense et l’immensité, m’a marquée dans mes compositions. Je pars du principe que les plus belles choses dans la vie apparaissent quand on a les pieds bien ancrés dans la terre et le regard au lointain. Ce premier EP est comme un accouchement, un début de voyage, où je me suis donné la liberté d’aller vers là, où mon inspiration me portait naturellement, sans trop de stratégie ni d’intellect. La chose pourtant que ces quelques premières compositions ont en commun, c’est le rapport aux éléments, à la nature dans le sens propre, mais aussi à la nature humaine et au côté éphémère et mystérieux de la vie. Je me retrouve pas mal dans les musiques assez planantes et mélancoliques, c’est peut-être ce qui sort le plus naturellement de moi. C’est parce que c’est ce qui me manque le plus dans la vie de tous les jours. Ce silence, ce repos, cette douceur… Cela m’a donné envie de conférer une empreinte presque mystique à ces premières compositions qui explorent la verticalité à travers d’un côté le sol, la recherche de notre terre, de notre ancrage, de notre famille dans le sens large, et de l’autre côté le ciel qui symbolise la grandeur, l’accomplissement, la foi, le divin, le lointain, l’au-delà ; se glissent entre ces deux personnages l’air et l’eau qui tendent plus vers le mystère, la souplesse, la légèreté, la douceur, l’éphémère, l’indéfinissable, l’insaisissable…

Concernant mes arrangements, je pars toujours du piano, mais j’ai aussi beaucoup travaillé avec les cordes – qui peuvent donner un côté assez orchestral, notamment grâce au violoncelle – ainsi qu’avec l’orgue, car l’orgue est un instrument assez royal, rien que par sa taille et son physique, mais aussi par le son unique qu’il émet et sa capacité à donner de la grandeur à une musique tout en lui prêtant un caractère légèrement religieux et prestigieux. Pour tout cela, j’ai collaboré avec Tom Gatti d’Unison avec qui on a pas mal échangé et qui a ensuite mixé et masterisé l’EP.

©Tom Gatti

Et l’avenir de Somou, il est déjà établi ou on lui laisse le temps de se dessiner naturellement ?

Pour le moment j’aime juste essayer plein de choses, me laisser porter. Donner une voix et une place à ces choses que je n’arrive pas à exprimer autrement. Et je n’ai pas de nom à donner à cela. C’est juste de la musique. Ma musique, ma langue. Cela m’a mis du temps à trouver le courage de passer à la publication, mais aujourd’hui j’ai la confiance d’inviter celles et ceux qui écouteront l’EP sur mon île pour fêter avec moi la perfection de l’imperfection…

Merci Sophie !

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