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Stefan Sagmeister: “Une attitude positive est toujours plus productive”

Interview : Sarah Braun
Photo : John Madere (Portrait)

Prolifique et extatique, Stefan Sagmeister ajoute une nouvelle corde à son arc (qui ressemble d’ailleurs bien plus à une harpe) avec une collection de tasses à espresso et cappucino en collaboration avec la rutilante maison italienne Illy. 

S’il est reconnu à travers le monde entier pour être l’un des designers graphiques typographes les plus emblématiques du XXIe siècle – et notamment pour ses nombreuses collaborations dans le domaine de la musique –,  c’est aussi un fervent pourfendeur du bonheur ! En effet, l’artiste et designer autrichien – qui a d’ailleurs fait une halte au Grand-Duché en 2017, en qualité de speaker d’exception lors de la cérémonie des Luxembourg Design Awards – doit également sa notoriété à son optimisme envers et contre tout. 
Un optimisme qui a d’ailleurs servi de matériau de base pour son travail avec illy, qu’il nous distille dans cet entretien, véritable remède contre la mélancolie ambiante de cette année… atypique ? Plus que jamais, Stefan Sagmeister nous a enseigné comment relativiser en toutes circonstances. Rencontre.

Boire du café est-il votre premier geste pour être heureux le matin ?

Ce n’est probablement pas vrai pour la plupart des gens, mais une chose est sûre : dans mon cas, c’est tout à fait vérifié ! Et, d’ailleurs, pas seulement le matin : je sirote des espressi toute la journée. Généralement, j’arrête d’en boire fin d’après-midi. 

Plutôt noir ou au lait ? Sucré ou non ?

Je savoure un cappuccino le matin, mais je passe ensuite aux espressi sans lait ni sucre.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’idée de collaborer avec illy ? Aimeriez-vous travailler à nouveau ensemble ?

Adorateur de café devant l’Éternel, illy est l’une de mes marques préférées depuis de nombreuses années. Je me souviens comme si c’était hier de mon ami – et client –  David Byrne qui travaillait sur ses tasses illy. C’était pourtant il y a vingt ans (rires) ! Depuis lors, nombreux ont été les artistes que j’admire à avoir collaboré avec la marque italienne pour créer de magnifiques services à expresso. Je suis fier d’ajouter mon nom à cette prestigieuse liste ! 

Le concept est « Now = Better » (maintenant = meilleur). Vous considérez-vous comme un éternel optimiste ?

J’ai toujours pensé qu’une attitude positive était non seulement plus productive, mais également beaucoup plus saine pour mon âme (sourire).

Comment un optimiste comme vous vit-il la crise sanitaire mondiale que nous traversons actuellement ?

Il y a douze mois de cela, j’ai décidé de renoncer à tout projet de conception publicitaire et de promotion afin de pouvoir me concentrer sur les idées qui me tiennent réellement à cœur. Ainsi, lorsque la Covid est arrivée, en mars dernier, j’avais déjà un beau studio meublé accessible par un escalier en colimaçon depuis mon appartement à Manhattan, ce qui m’a permis de continuer à travailler de la même manière qu’avant le lockdown. Ce n’était, bien évidemment, pas une brillante prévoyance, mais un pur – et heureux, je l’avoue – hasard.

Quelle est votre recette personnelle du bonheur ?

Il y a quelques années (en 2016, ndlr.), en collaboration avec Ben Nabors, Hillman Curtis, j’ai réalisé un film sur mon bonheur personnel, judicieusement baptisé « The Happy Film » dans lequel sont passées en revue une bonne dizaine d’études sur la question du bonheur. Sept années ont été nécessaires pour sa réalisation, c’est dire si le sujet est vaste et complexe. Notre conseiller scientifique, Jonathan Haidt, était arrivé à la conclusion selon laquelle, le bonheur provient d’une multitude de moments entre le tournage et le montage. Il pense en effet que le bonheur peut venir du fait que je réussisse à établir une bonne relation avec les autres, y compris avec les connaissances lointaines et la famille proche. Mais il peut aussi découler du fait que je réussisse à établir une bonne relation avec mon travail ou encore d’une bonne relation avec quelque chose qui me dépasse. Ce n’est qu’à ce moment-là que le bonheur peut naître. Je ne l’ai compris que longtemps, très longtemps, après la fin du film, mais ce temps était nécessaire pour que je l’intègre parfaitement. A présent, j’en suis convaincu : cela est vrai. 

Comment traduisez-vous un concept visuellement ? Parlez-nous du processus créatif à l’origine cette collaboration.

Les médias à court terme – à l’instar de Twitter – ainsi que les informations horaires donnent l’impression d’un monde totalement hors de contrôle : la Covid qui infecte le monde entier, la démocratie en péril, les conflits omniprésents et une perspective globale de malheur. Pourtant, si nous examinons les développements concernant le monde dans une perspective à long terme – le seul sens qui s’impose, à mon avis – presque tous les aspects concernant l’humanité semblent s’améliorer. Dans cette optique, on constate que moins de gens souffrent de la faim à travers le monde, moins de gens meurent dans les guerres et les catastrophes naturelles, mais également que plus de gens vivent dans des démocraties – et vivent beaucoup plus longtemps. Il y a 200 ans, neuf personnes sur dix ne savaient ni lire ni écrire ; aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une sur dix.

Cette réflexion est à la base de mon travail pour illy : nous avons essayé de traduire de manière concrète et graphique ces évolutions. Ainsi, les décorations minimalistes de la soucoupe, faite de minéraux précieux, se reflètent sur la surface en titane de la tasse. Dans un jeu de perspective, le contour d’un graphique se glisse sur le côté, montrant des courbes de croissance, données objectives d’une amélioration progressive sur une longue période. Cette représentation intrigante de l’information, associée à une vision prudente, permet aux « meilleures données » – que nous aurions peut-être négligées en raison des distractions du bruit médiatique quotidien – de devenir immédiatement évidentes.

Vous avez beaucoup travaillé pour l’industrie de la musique. Quelle place occupe-t-elle dans votre vie ?

Outre, le design, la musique est résolument l’autre amour de ma vie. Aussi, concevoir des pochettes d’albums était pour moi la façon la plus naturelle de combiner les deux !

Quelle définition donneriez-vous du design ?

Un bon design aide quelqu’un ou fait plaisir à quelqu’un. Un excellent design fait les deux (sourire).

Être designer en 2020 est-il plus intéressant qu’à vos débuts ?

Bien sûr ! N’oubliez pas « Now = Better » (rires) !  Le domaine est devenu beaucoup plus vaste pour les designers, en comparaison à la façon dont  il se présentait dans la seconde moitié du 20e siècle. La discipline s’est considérablement élargie et notre champ des possibles est devenu immense : à présent, nous pouvons travailler sur des meubles le matin, un site web à midi, un projet architectural en début d’après-midi, un film plus tard et, à la fin de la journée, nous pouvons penser à des tasses à espresso (sourire). C’est tout simplement fabuleux !

De quel projet êtes-vous le plus fier ?

Toujours, toujours le plus récent : les tasses à espresso (rires) !

Quelle place les questions de développement durable et d’éthique occupent-elles dans votre cahier des charges ?

Nous avons abordé le problème de l’éthique en n’acceptant que des emplois pour des produits ou des services que nous utilisons nous-mêmes. Lorsqu’il s’agit de durabilité, une stratégie sous-utilisée consiste à concevoir des choses si belles que les gens en prendront soin. Le Panthéon (à Athènes, ndlr.) est de loin la pièce d’architecture la plus durable jamais construite, il est utilisé en permanence depuis 2000 ans, sa beauté garantissant que de nombreuses générations le rénovent plutôt que de le démolir.

L’année 2021 sera-t-elle meilleure que l’année 2020 ?

La réflexion à long terme ne nous apportera pas de réponse ici, car les années individuelles fluctueront toujours. Compte tenu de tout ce qui s’est passé en 2020, les chances que 2021 soit meilleure sont assez bonnes (sourire).

Quels sont vos projets ?

Pour le printemps, nous allons créer une petite exposition sur la pensée à long terme à la galerie Thomas Erben à New York, et nous présenterons notre grande exposition sur la beauté à la Fondation Martell en France.