Steiv & Raoul Henri
Photo Romain Gamba
Ils vont la couv’ de notre nouveau numéro. Ils sont deux vidéastes prometteurs qui travaillent au Luxembourg, enchaînant les court-métrage de qualité. Ils ont reçu les prix Best Upcoming Young Director et Best Music Video aux Video Clip Awards Luxembourg, pour le clip Mkl Jksn du groupe luxembourgeois Mutiny On The Bounty. On les aime bien chez Bold (je crois que cela va de soi) et on veut vous les présenter. Voici Stephen Korytko (alias Steiv) et Raoul Henri rien que vous vos beaux yeux.
Parlez-moi un peu de vous et de vos parcours respectifs.
SK: Je suis austro-polo-gallo-français. Mais c’est pas facile à dire alors je simplifie en français-anglais. Gosse de l’école européenne. C’est seulement 5 ans après mon Bac que j’ai commencé à apprendre – certains diront comprendre plutôt (rires) – le Luxembourgeois en faisant des montages d’interviews de Xavier Bettel ou de la Dominatrix de Dudelange. Je suis allé étudier à Londres et en France mais personne va te demander si tu as un master dans ce job! Le studio créatif Moast est très bien tombé. Ils m’ont fait boire des shots pour voir si je tenait le coup en tant que rite de passage. Stage puis CDI, j’ai appris plus en deux mois qu’en deux ans à l’université! On est tombé au bon moment: la révolution DSLR venait de commencer, la demande pour des vidéos augmentait, on était tous jeunes… Mais après 4 ans, il était temps de progresser et de réaliser mes propres projets. J’ai quitté Moast pour aller me localiser dans les bureaux des amis Studio Polenta à Clausen, pour travailler en tant qu’indépendant sous le nom de Steiv (je me garde l’anecdote du surnom). J’avais un peu les jetons en partant. Tu n’es jamais sûr que le téléphone va sonner dès le départ. Mais heureusement les clients sont arrivés très vite et s’en suivent beaucoup de pubs, docus et vidéo clips avec des soldats de l’armée turque, une fille à poil sur un scooter, des “Est-ce que tu est Charlie?” au Sénégal, des podcasts sous-marins…
RS: Né et grandi au Luxembourg. J’étais à l’école publique et j’ai choisi économie en tant que sujet principal au lycée. C’était le truc à faire quand tu ne savais pas encore trop quoi faire plus tard sans être bon en sciences naturelles. J’ai économisé assez pour m’acheter ma première caméra, une petit MiniDV. Elle marche encore aujourd’hui! J’adore les montagnes et le snowboard alors en 2003 je suis allé étudier “Science de la comm’ et comm’ audiovisuelle” à Salzburg. Ce n’était pas ce à quoi je m’attendais: essentiellement de la théorie et des papiers scientifiques, pas beaucoup de travail technique… L’avantage est que j’avais beaucoup de temps libre pour travailler sur mes projets perso et devenir un meilleur réalisateur. Au final, l’université ne m’a pas appris grande chose. J’ai eu un Master en 2009 avec une thèse sur le style “Mockumentary”. En 2010, je rentre au bercail, fraichement marié à ma femme australienne. J’avais un Canon 7D, un trépied et un Powerbook doté d’une version cracké de Final Cut Pro. Et cela suffisait. Mais la plupart n’était pas payé. C’est seulement en achetant un petit steadycam que j’ai vraiment commencé à faire de l’argent. C’était assez niche. C’est drôle de réaliser que c’est du matos qui m’a vraiment ouvert la porte dans ce monde là. Je suis du coup officiellement devenu freelance. Mon premier “gros” projet était le documentaire “Nak Muay” deux ans plus tard sur lequel j’étais réalisateur et chef op. On a suivi le champion du monde de Muay Thai Kevin Haas pendant deux ans et demi en Thaïlande, Turquie et Russie. Je travaille maintenant dans l’espace Bamhaus à Dommeldange.
Vous-avez toujours su que vous vouliez faire ce métier ?
SK: Pas exactement. Je voulais travailler dans un studio d’enregistrement. Mais après ma License en Technologie du son à Londres, beaucoup de grand studios fermaient leur portes du à l’émergence de systèmes de home studios sur le marché. J’ai donc décidé de faire un master en audiovisuel car la vidéo m’a toujours botté. C’est extrêmement lié dans le sens ou c’est vraiment un marriage entre technique et créativité. Le hazard a bien fait les choses et maintenant, à chaque fois que j’ai envie de me plaindre, je me fous une baffe.
RS: Cela a commencé en hobby en c’en est resté un en devenant mon boulot aussi. Ce n’est pas souvent que “work feels like work”. Avec ma première MiniDV, j’ai téléchargé Pinnacle sur mon PC et j’ai commencé à monter mes vidéos de snowboard. La satisfaction était énorme. Pendant ma dernière année d’école, je me souviens j’ai dis à mes potes que j’allais étudier la cinématographie. Certains rigolaient et disaient “Tu nous fera des prix à Utopolis”.
Comment en êtes-vous venus à collaborer tous les deux ?
SK: Je bossais chez Moast et Raoul était déjà indépendant. Le groupe Medley Jukebox voulaient qu’on leur produise un vidéo clip avec une histoire d’un mec et d’une fille qui se rencontraient au lendemain d’une grosse soirée. Le concept comprenait des plans steady cam donc nous avons fait appel à Raoul. Tout s’est super bien passé. Si bien que quelques temps plus tard, Raoul a décidé de louer un bureau dans nos locaux. Une fois parti de Moast, j’ai continué de travailler avec Raoul sur plusieurs projets dont les vidéos clips “Say Yes Dog – Get It” et “Mutiny on the Bounty – MKL JKSN” pour lesquels nous avons remportés des Video Clips Awards en 2013 et 2015. Le fait que cela clique si bien entre nous est le fait que nos personnalités sont très complémentaires. L’un arrive toujours à dire à l’autre si son idée est nulle ou à le faire revenir sur terre s’il commence à parler de trucs infaisables. Ah oui, et on est aussi très bon potes!
Qu’est-ce qui vous intéresse dans les formats vidéo courts?
SK: Je crois que notre atout majeur est la polyvalence. J’ai beaucoup d’amis qui après l’université sont allés travailler pour des grand studios à Paris et ils ne travaillent que sur un tout petit maillon de la chaine de production. Ces formats courts ont fait en sorte que l’on sait écrire des concepts, préparer un tournage, réaliser le tournage, faire la post-production (montage, mixage, étalonnage), tout en gérant le contact client. Avoir cet atout est en sentiment libérateur et au final, permet une meilleure cohésion dans la réalisation d’un spot. Il est important dans n’importe quelle situation de production de connaitre les différents stades de création d’une vidéo, que ce soit toi et ton stagiaire ou avec une équipe entière de tournage de cinéma. Aussi, je ne pense pas encore avoir la patience pour réaliser un court-métrage. Pourquoi dépenser tant de temps sur un seul projet alors que tu peux en réaliser 4 ou 5 qui seront tout aussi intéressant visuellement mais aussi d’un point de vue personnel. Ce jour arrivera mais ce n’est pas pour maintenant. Mais c’est un format super, rempli de challenges d’écriture. Avoir 5-10mins pour forcer l’audience à s’identifier avec ton personnage et/ou concept n’est pas facile du tout.
RS: Ce format permet de passer d’un projet à l’autre assez rapidement. C’est surtout un avantage si le client est super chiant!(rires). C’est un format plus approprié pour pouvoir expérimenter avec différents styles. Les formats court sont souvent plus conceptualisés que les long-métrages car ils doivent se focaliser sur une idée fondatrice. Par exemple, l’univers de la publicité peut paraître très formatée pour vous, mais moi j’ai toujours considéré les spots publicitaires et les vidéo clips en tant que les formats les plus ouverts, créatifs et libre de contraintes. L’avantage de la pub par rapport aux vidéo clips, c’est le budget. C’est important pour pouvoir réaliser l’idée de départ au mieux possible. Bien qu’avec Steiv, on a l’habitude de produire dans ces conditions. Nos vidéo clips sont toujours des projets qui nous tiennent à cœur, ce qui compense le manque de budget.
Pouvez-vous nous parler du processus de création d’une vidéo ?
RS: L’idée de départ forge le projet. Cela peut-être une image fixe, une technique, un style ou un format autour de quoi le narratif est construit. On part du narratif pour développer le projet.
SK: On prend toujours ce premier instinct, cette première image qui apparait dans notre tête très au sérieux. Cette image nous est propre par rapport à notre personnalité respective mais est aussi issue de notre parcours audiovisuel. Les films qui nous ont affecté lors de notre enfance ou la façon d’éclairer un personnage dans la dernière série que l’on a vu. Si l’on part d’un texte, d’une chanson ou d’une personne, l’idée est d’attacher cette première émotion qui surgit à un narratif de fond ou de forme tout en ayant un raisonnement technique en parallèle. Comment faire en sorte de faire transparaitre ce message à travers le contenu, mais aussi avec une certaine manière de bouger la caméra, de faire le montage ou d’étalonner le résultat. C’est ce qui est tellement excitant dans ce job. C’est une multitude de facteurs, sur lesquels on a une influence ou pas, qui se coagulent en un résultat final. Les jours où tout marche sont simplement magiques: les nuages s’écartent et la lumière extérieure est sublime, cette fille qui n’est pas une actrice ferait pleurer ta mère, il y a juste assez de batterie dans la cam’ pour faire cette dernière prise parfaite. C’est toujours difficile d’imaginer tous ces facteurs sans avoir été sur un tournage avant.
Quelles sont les personnalités qui influencent votre travail ?
RS: Michel Gondry, Spike Jonze, Chris Cunningham, les frères Cohen, Tarantino, Jackie Chan! (rires) Et au niveau local, Jeff Desom fait des trucs incroyables.
SK: Perso, ce sont plutôt des studios et réalisateurs de production que des réalisateurs de ciné. Vimeo est plus important qu’Utopolis pour moi. Des studios comme PostPanic ou encore the Mill sont de grosses pointures. En personnes solos il y’a Hiro Murai et Daniels qui ont un très bel équilibre entre esthétisme et du contenu bien barré. Sinon si je devais dire un nom pour le cinéma, ce serait David Fincher. L’intro de Se7en m’a tué! C’est un ovni Fincher. Tout est extrêmement calculé. Il est très bon d’un point de vue technique et il suit de prêt toute la post-production sur chaque film. Ce qui doit être chiant pour les techos, mais le résultat final a une cohésion que beaucoup de films n’ont pas. Bizarrement, son style de plans – 98% en caméra fixe – n’est pas très proche du mien. Peut-être d’où la fascination.
Vous utilisez quoi comme matos ?
RS: D’un point de vue caméra, cela va de la GoPro à 300€ à la Alexa à 80.000€.
SK: On a tout les deux du matériel, et l’idée est de louer, si besoin, le matériel adapté au budget du projet. On essaye toujours d’utiliser la meilleure qualité d’image que le client peut se payer. Mais c’est sur qu’au Luxembourg, les clients qui sont prêt à payer 1000€ pour louer la caméra avec laquelle ils ont tourné The Hobbit pour une journée, il n’y en a pas beaucoup.
RS: Notre matériel qui inclue aussi des lights LED, des sliders, des stabilisateurs nous suffit pour beaucoup de productions que l’on fait.
Quels sont vos sujets de prédilection ?
RS: Ce serait plus facile de décrire ce que j’aime moins faire. Les dialogues. Forcer les mots sur les gens. J’aime mettre les gens en situation où ils peuvent se développer et s’exprimer de façon naturelle. Le clip de Mutiny est l’exemple parfait dans le sens où cela n’était pas possible pour les gens de foirer! Le fil conducteur se développe ensuite en post-production. En deux mots, une bonne vidéo en format court contient toujours un concept fort. Et vu qu’un concept, en somme, est une série de répétitions quelque part, le vrai challenge est de garder l’audience intéressée. C’est ce processus qui est délicat.
SK: J’ai toujours su apprécier la forme autant que le contenu. J’arrive à sortir du cinéma après un film pourri et être satisfait parce que l’étalonnage et le choix des plans étaient génial. Le dynamisme d’un montage est toujours quelque chose qui m’affecte énormément et c’est quelque chose sur lequel je travaille beaucoup. D’un point de vue contenu j’ai eu une phase avec un certain nombre de vidéos avec des filles dénudées, mais c’est venu et parti (rires). Je suppose qu’à travers nos clips, il y a toujours eu un certain aspect conceptuel du point de vue technique. Je ne pense pas que vous verrez des “performance videos” de notre part. Ensuite, je pense que le jour où je me décide de faire un film, ce sera un film d’horreur. Je sais pas pourquoi, mais je pense que je me débrouillerai bien. “Schuttrange Island”!
Quelles sont vos projets à venir ?
SK: On lance une nouvelle boîte ensemble qui s’appelle SKIN. Je déménage à Berlin en Mars et SKIN sera une agence de production qui va opérer entre là-bas et le Luxembourg. On s’associe aussi à Svenja Trierscheid qui est une réalisatrice/photographe de Berlin et à une autre personne devrait nous rejoindre ici au Luxembourg. C’est une union naturelle de personnes qui savent travailler ensemble du fait d’avoir réalisé beaucoup de projets ensemble dans le passé et d’utiliser les nombreux contacts que nous avons (graphistes, web designers, artistes…) pour pouvoir créer des campagnes entières et gérer de plus grand projets comme une agence le ferait. Le fait d’avoir des personnes au Luxembourg et à Berlin rend aussi les choses intéressantes du fait que l’on ai accès à plus de ressources pour un projet donné. Sur le long terme, cela nous permettra aussi de créer une plate-forme pour nos propres productions. On a vraiment hâte de s’y mettre! Le site sera online fin Février: welcometoskin.com.
Question plus légère pour terminer, quels sont vos rêves (s’ils n’ont pas déjà été réalisés) ?
RS: La chose la plus importante est de savoir garder un équilibre intact entre projets commerciaux et projets personnels mais surtout entre vie professionnelle et vie familiale.
SK: Une piscine remplie de guacamole avec des gin tonics à volonté! En plus réaliste, je pense que ce que Raoul vient de dire est la règle d’or. On a la chance de faire le boulot qu’on aime, cela devient donc une responsabilité que de faire cela marcher au mieux possible pour nous et les personnes qui nous entourent. C’est tout con mais c’est vrai.