Théid Johanns, l’émotion avant tout
Né à Esch-sur-Alzette, quartier du Brill, Théid Johanns, n’a jamais quitté la ville du sud du Grand-Duché. Autodidacte et passé notamment par le montage des pages du Tageblatt avant de s’attaquer à ce qui l’anime aujourd’hui, Johanns a déjà connu 100 vies. Là où Théid Johanns a marqué les esprits ces deux dernières décennies, c’est dans le monde de l’art luxembourgeois, pour y léguer, outre « ses propres visions sans interdictions », le collectif Cueva, projet majeur de la scène artistique émergente et alternative du pays. Et s’il est aujourd’hui encore un acteur crucial dans le paysage culturel luxembourgeois, lui qui s’amuse à dire « qu’il aime laisser des traces avant de partir », en laissera, pour sûr.
D’une variété de techniques et supports, Johanns aime à traiter les notions en opposition comme le corps et l’esprit, la science et la religion, l’homme et la machine, l’individu et la collectivité, l’unicité et la multiplicité… « Il faut comprendre les extrêmes afin de trouver un équilibre pour créer un bon ensemble », explique-t-il. Ses œuvres dévoilent ainsi une critique cynique et un discours incisif, plein d’humour et de dérision. Johanns distille un travail engagé, en ouvrant de nouvelles portes, tout en se désespérant des difficultés à faire réagir le public, « la plus grande partie de ceux qui s’intéresse à l’Art se laisse tromper par un positivisme artificiel à l’aide de couleurs. C’est décourageant de constater cet énorme besoin de beauté ». Et pour l’artiste, les politiciens et décideurs culturels suivent ce jeu pour trouver le soutien de la plus grande partie de la population, sans voir l’Art, « n’oublions pas que le tout Luxembourg n’a pas la grandeur d’autres capitales. Disons même qu’il y a un peu de ‘Hillbilly’ ».
Montrer que l’Art n’est pas élitiste
Pour Johanns, l’art doit surtout être émouvant. Pourtant, selon lui, c’est là que le bât blesse, « c’est comme crier dans la montagne et ne pas entendre d’échos. Je ne suis toujours pas prêt à mentir intellectuellement ». En 2001, avec Jean-Pierre Seil, il fonde la galerie B / C2 à Bettembourg pour montrer le travail de 160 artistes autour de 80 expositions et, notamment, valoriser la jeune création artistique. Il y a eu, en ce temps, une dimension de vente, avec la programmation d’artistes renommés, un aspect qui ennuie Johanns qui souhaite aider les jeunes artistes, « beaucoup de jeunes avaient besoin aussi d’exposer et leurs travaux artistiques n’étaient pas des moindres. On voulait aussi faire tanguer ce complexe du “non-connaisseur“ et montrer aux visiteurs que l’Art n’est pas élitiste ».
Un peu autour du même intérêt, il fonde le collectif Cueva en 2015, avec Sergio Sardelli, Jeff Keiser et Daisy Wagner. Un projet venu de l’idée de créer une scène artistique avec des possibilités de discussions entre les artistes eux-mêmes et les spectateurs, « on voulait essayer de supprimer un peu le côté “égo-tripé“ des artistes, en vue d’une dimension collective et d’un partage intellectuel ». Mais la réalité rattrape ses rêves, et assez rapidement Johanns réalise que l’égocentrisme de la plupart des artistes pousse à la concurrence et se montre plus grand qu’un travail collectif, « cela montre bien que les artistes sont des êtres humains comme les autres membres de notre société ».
La sédentarisation ? Pas question
Aujourd’hui, après six expositions d’ampleur et aux succès public et critique unanimes (Quartier3, Zaepert, Uecht, Lankelz, Aal Esch et Bâtiment 4), Cueva s’est vu proposer refuge dans le Bâtiment 4. Une nouvelle perspective pour le collectif qui a pourtant choisi de continuer son chemin vers un ou d’autres endroits, « on a décidé de rester des Tziganes ». Il est vrai que l’affection du collectif à créer des projets inédits et non conventionnels, est bien trop grande pour le voir ainsi s’installer au sein de ce Bâtiment 4, que l’on peut comprendre comme institutionnalisé, dans sa gestion administrative, du moins, « il y aura trop de règles et on n’a pas envie d’écrire ou de formuler des idées qui ne seront pas comprises ou déformées ».
Finalement, s’il est difficile aujourd’hui de parler de long terme, les ambitions de sédentarisation de Cueva, ne sont pas pour tout de suite, « s’il y a sédentarisation un de ces jours, il faudrait d’abord voir le lieu et les possibilités. Pour le moment il y a des discussions au sein de Cueva, pour savoir si l’important est le cadeau ou le papier cadeau ». Pur produit eschois, Théid Johanns a vagabondé de logement en logement, et d’atelier en atelier à Esch-sur-Alzette, sans jamais abandonner la ville, et même pour y trouver un engagement politique et siéger au banc de Déi Lénk…
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