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Un monde de versatilité avec Mary Audrey Ramirez

Par Godefroy Gordet

Lauréate du Prix Edward Steichen en 2019, Mary-Audrey Ramirez, si elle était déjà très active sur la scène européenne des arts contemporains, s’est véritablement révélée en faisant exulter ses mondes faits d’un bestiaire de créatures aux comportement étranges. Depuis la capitale allemande, elle travaille le textile comme matière première pour la réalisation de ses oeuvres qui interrogent la relation qu’entretient l’homme à l’animal…

Prémices

« Je ne suis pas certaine d’avoir un jour conscientisé le fait que mes vies personnelle et professionnelle appartiendraient un jour à l’art », ouvre Mary-Audrey Ramirez. Comme beaucoup d’artistes, l’art est une coïncidence pour elle, « peut-être que les œuvres d’art sont liées à des expériences personnelles, mais la plupart ne le sont pas vraiment, je veux dire dans un sens autobiographique ». À ses débuts, dès l’université, ses préoccupations artistiques s’attardent sur l’expérimentation de matériaux et de médiums, « il se trouve que pour moi, le tissu était le matériau avec lequel je pouvais le mieux exprimer certaines de mes visions artistiques, même si je me débattais encore à l’utiliser, avec une certaine déception ». Dans l’art, la plupart des matériaux sont exploités à volo, et cette envie et volonté de nouveauté prédomine souvent, et c’est aussi un des objectifs que Ramirez a vite tenté de franchir, « le mot numérique en est un bon exemple, beaucoup de matériaux y existent et y fonctionnent d’une manière différente voire impossible face à leur utilisation dans le monde physique ».

Aujourd’hui

Son travail décline sa fascination pour l’au-delà, en associant images et icônes issues du fantasme et du réel. La construction de ce monde qu’elle fait évoluer depuis près d’une dizaine d’années est cruciale dans son processus artistique. Un monde qui, pour elle, a toujours été là, « la plupart des gens ont grandi avec des histoires inventées, les contes de fées ont souvent un aspect du monde physique et fantastique, et d’une manière ou d’une autre, les deux mondes semblent avoir une réalité similaire. Il s’agit en fait d’une explication du monde physique par le biais des contes de fées et de leur fantaisie ».

Bkeeprs Garden @ Mary-Audrey Ramirez

Pour Ramirez, ce facteur a émergé plus encore avec l’industrie du jeu. Elle-même s’y est adonnée, et a toujours aimé y explorer les différents niveaux, leur design et évidemment comment le personnage central doit s’y adapter, « on observe un profond désir et une fascination face à certains univers qui n’existent et ne vivent que numériquement, et donc il y a une certaine distance physique face à cela. La scène Cosplay est d’ailleurs pour moi un moyen de construire un pont entre ces mondes. Cela m’a toujours fascinée ». Alors, si visuellement ses œuvres frappent, elles interrogent aussi sur de nombreuses questions de fond comme le sexisme ou les crises géopolitiques internationales… Et dans ce sens, en tant qu’artiste, Mary-Audrey Ramirez prend à cœur d’endosser ce rôle de témoin, et de « critique » de notre société, « Je crois que c’est en quelque sorte ce qui est ancré dans mon travail ». 

« Le tissu est le matériau avec lequel je peux le mieux exprimer certaines de mes visions »

Mary-Audrey Ramirez

Et puis, ce « monde », le sien, est aussi un véritable zoo – qu’elle explique comme le regroupement de différentes bestioles » et non « la captivité de celles-ci », ndlr – rassemblant d’innombrables animaux de notre monde identifiés et personnifiés sous ses propres prismes esthétiques et psychiques. Un bestiaire pensé dans son travail pour faire avancer ses interrogations personnelles, « les humains ont souvent un faible pour les bestioles. Il active un certain schéma dans leur cerveau. C’est un bon moyen de communiquer à travers eux ». La déclinaison de ses œuvres n’est pas toujours issue d’un facteur personnel. Ramirez travail aussi de spontanéité, « parce que j’ai cette idée en tête ». Ainsi, souvent, elle voit l’œuvre germer devant elle. Là, elle y découvre un sens et/ou une trame de fond, « les choses arrivent parce qu’elles arrivent, c’est tout. Si d’avance j’ai une idée fixe, je ne pourrai pas le faire parce que ce serait déjà solutionné. Il n’y aurait aucun sens à le faire. Où serait-ce le hasard ? ».

Sadness Reigns @ Mary-Audrey Ramirez

Expo’ 

Depuis 2014, et son intégration à l’exposition collective Birds and other Mythos de la galerie Cruise & Callas de Berlin, Ramirez a exposé son travail à maintes reprises autour de l’Europe, et principalement en Allemagne. Une notion d’exposition qu’elle voit comme « la principale plate-forme permettant aux artistes de montrer leurs œuvres ». Aussi, autour de ses expositions les plus marquantes, notons son projet Graveyard escape, exposé dans la CeCiL’s Box à l’été 2021. Sous ses mains et son esprit, en collaboration avec l’artiste numérique Pirate Sheep, la vitrine de la rue du Curé était devenue un vortex hypnotisant entraînant dans son tourbillon aussi bien les créatures extraterrestres scintillantes qui en surgissent que les spectateurs venus découvrir l’œuvre.

Dans la lignée de la construction de cet univers aussi effrayant qu’exaltant qu’elle décline d’oeuvre en oeuvre, l’idée derrière ce « cimetière » intègre une forme de cycle de travail, une série d’oeuvres en fait, « Graveyard escape dans la vitrine de la CeCiL’s Box est quelque chose de similaire à une suite de deux expositions précédentes intitulées Into a graveyard from Anywhere au Dortmunder Kunstverein en 2020 et Anywhere en collaboration avec Esch 2022 et Ars Electronica en 2020. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas d’un cimetière conventionnel, mais d’une autre forme de cimetière ». Le 7 décembre 2019, Mary-Audrey Ramirez reçoit le Prix Edward Steichen, un prix visant à promouvoir le travail artistique d’artistes émergents dans le domaine de l’art contemporain, offrant au lauréat la possibilité de s’immerger dans le contexte culturel stimulant de New York qui a été tellement propice à Edward Steichen lui-même. L’obtention de ce prix a évidemment stimulé chez elle beaucoup de bonheur, et l’accession à une forme de reconnaissance.

Une surprise pour l’artiste, « je ne m’attendais pas à recevoir un tel prix… » Et puis, elle a été subjuguée par New York, « j’imaginais un endroit très stressant, mais il s’avère que ce n’est vraiment pas le cas. J’y suis toujours présentement, j’explore de nouvelles choses tous les jours, je rencontre de nouvelles personnes, je fais des vernissages… J’ai aussi quelques expositions personnelles… C’est grisant ». Le jury du Prix Edward Steichen, composé de Suzanne Cotter, du MUDAM Luxembourg, Thomas Seelig, du Museum Folkwang, Essen et Drew Sawyer, du Brooklyn Museum of Art, NY, USA, a noté la contemporanéité de son utilisation du textile dans son travail artistique. Ainsi, lorsqu’elle parle de son processus de travail new-yorkais pour la création de ses sculptures molles, la créatrice, encore en pleine phase exploratoire, botte en touche, « nous verrons ». Et quand on lui demande d’imaginer le futur, là aussi, Ramirez reste mystérieuse, à son image, « j’aime garder beaucoup de secrets mais merci pour vos questions ».

Un article à retrouver également dans le magazine Bold #77, actuellement disponible et consultable juste ici :