Vincent Dedienne : « Je suis atteint d’une nostalgie un peu naïve »
Avec deux spectacles à son actif et autant de Molière à mettre sur sa cheminée, Vincent Dedienne est sans conteste l’un des artistes les plus doués de sa génération. Comédien, acteur, auteur ou encore metteur en scène, il multiplie les projets artistiques et parvient à les porter vers le succès. Alors qu’il sera de passage par Luxembourg le 1er février prochain pour son deuxième spectacle en solo, nous avons eu la chance de le rencontrer afin d’échanger avec lui sur cet éternel nostalgique qui n’en finit pas de nous éblouir de son talent.
Par Mathieu Rosan
Tu es en tournée pour ton deuxième seul en scène. Dans Un soir de gala on a le sentiment d’un spectacle encore plus burlesque que le précédent. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de celui-ci ?
C’est un peu ce que tu viens de dire ! J’avais envie de légèreté et d’entendre les gens rire. J’avais envie de m’amuser et que les gens puissent rire de mes aventures. L’écriture du spectacle a commencé à la suite de un coup de fil d’un théâtre qui m’a demandé si j’avais un deuxième seul en scène en prévision. J’ai répondu que non et ils m’ont dit que ça les intéresserait que je le fasse chez eux. Je me suis donc dit que c’était le moment d’y retourner.
Dans S’il se passe quelque chose, ton premier spectacle, tu proposais une forme d’autoportrait. Dans Un soir de gala, tu interroges notre rapport à la nostalgie et à « ce que l’on ne peut plus faire ou dire ». Penses-tu qu’il était plus simple de créer à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas ?
C’est une bonne question, et je dois bien admettre que je ne me la suis jamais posée ! Les réseaux sociaux, bien que j’y sois, ne m’inspirent pas. Pour moi ils sont un frein à l’imaginaire et à l’inspiration. À mon sens, nous sommes moins doués aujourd’hui pour la contemplation qu’ont pu l’être nos prédécesseurs. Il suffit de regarder les gens dans le train, le métro ou dans le bus ; quasiment plus personne ne prend le temps de regarder le monde qui nous entoure. Nous sommes tous les yeux rivés sur nos écrans. Or, c’est vraiment dans la contemplation que l’imaginaire peut se développer. Il suffit de constater le temps d’attention des jeunes qui ne cessent de chuter au fil des années. Si je faisais uniquement des séries ou des émissions de télévision cela m’inquièterait c’est évident. Sur scène, nous sommes encore relativement protégés. Même si les gens oublient parfois d’éteindre leur téléphone, le fait de plonger le public dans le noir complet le coupe des distractions auxquelles nous sommes constamment confrontés.
Vous n’avez que 35 ans, mais vous êtes déjà un grand nostalgique. Êtes-vous mélancolique de ces années durant lesquelles la création n’était pas soumise à autant de diktats ?
Il est vrai que je suis atteint d’une nostalgie un peu naïve dans laquelle j’ai l’impression d’avoir manqué une époque que je n’ai jamais connue et pour laquelle j’imagine qu’il était plus simple de faire ce métier. Parfois, le fait d’être constamment insatisfait me laisse à penser que ce sentiment est quelque part chronique chez moi. Une sorte de nostalgie qui dans un sens s’apparente à une forme de névrose.
Dans une interview pour GQ tu avais déclaré : « Un Molière c’est sept minutes, un ‘mouais’ sur Twitter ça me flingue pendant trois semaines ». Malgré le succès de tes créations et de tes rôles, que ce soit au théâtre ou au cinéma, tu ne parviens toujours pas à prendre du recul par rapport à la vindicte 2.0 ?
Avec l’âge je commence doucement à prendre du recul. Le fait d’écrire un spectacle est quelque chose de très intime et je dois bien admettre que cela nous rend très sensibles à la critique. Si je joue dans un film qui n’a pas été écrit de ma main, ce n’est pas la même chose. Lorsque l’on critique quelque chose que l’on a écrit, c’est comme si on était rejeté entièrement. C’est un véritable exercice de funambule dans lequel il est important d’être attentif aux critiques afin de rester objectif sur son travail. Il est extrêmement simple de n’écouter que les éloges. Le fait de rester à l’écoute et attentif de ce qui ne va pas permet de nous améliorer c’est indéniable. Malgré tout, il faut continuer à faire ce que l’on aime et ne pas donner au public que ce qu’il souhaite.
Il t’est arrivé de te censurer ou d’adapter un texte en te disant que la version initiale risquerait de mal passer auprès de certaines personnes ?
Oui ! J’ai toujours une sorte de relecture afin de prendre conscience ou non qu’il y a des blagues qui ne sont pas appropriées. Par exemple, dans mon deuxième spectacle, j’ai retiré des choses qui me faisaient vraiment rire mais pour lesquelles je me suis demandé pourquoi cela m’amusait. Malgré tout, si c’est pour être consensuel afin d’être sûr de ne heurter personne, autant rester chez soi !
Tu as déclaré que l’humour t’avait vengé de l’enfance difficile que tu avais pu avoir. Est-ce que cette période de ta vie continue encore aujourd’hui de nourrir l’artiste que tu es ?
Je pense qu’un artiste, quel qu’il soit, est toujours un peu inspiré par son enfance et qu’il a quelque part la nostalgie de ces moments et de cette candeur. À travers la méchanceté qui l’entoure mais également la fantaisie, l’enfance est un terreau d’inspiration inépuisable. Je pense notamment à Pierre Soulages, qui est malheureusement décédé récemment et qui, un jour, a pris une feuille blanche pour la noircir de sa plume afin de représenter ce qu’il imaginait comme étant de la neige étant enfant.
Justement, tu as déjà expliqué que tu avais appris à lire seul à quatre ans et que tu étais plus « Joe Dassin » que « G Squad ». Une différence qui t’a suivi durant toute ton enfance. Comment l’expliques-tu ?
Sincèrement, je ne sais pas. Un jour quelqu’un m’a dit que j’étais « une vielle âme ». Cela m’a interpellé et je me suis dit que bien que notre âge soit inscrit sur l’état civil, il est important de différencier l’âge du corps de celui de l’esprit. Il y a ici également une curiosité de savoir ce qui a pu se passer avant. De prendre en considération nos prédécesseurs et de s’en inspirer. Ce serait très présomptueux de penser que nous n’avons pas besoin d’eux pour nourrir notre propre créativité. J’ai toujours eu une curiosité tournée vers les archives et le passé. Je suis peut-être angoissé par le futur car j’ai l’impression que le trajet n’est que « dégringolade ». Peut-être que l’on se dit que c’était mieux avant car nous avons toujours peur de ce que l’on ne connaît pas. Malgré tout, aujourd’hui nous souhaitons absolument consommer l’époque dans laquelle nous sommes et avoir une sorte d’appétit pour tout ce qui se fait. Ce qui est à la mode, ce qui est brûlant, découvrir les artistes de demain… Pour ma part, j’ai l’impression que les artistes de demain, j’aurai le temps de les découvrir demain, après-demain et même après après-demain.
Dans ton spectacle, tu incarnes des personnages franchement odieux, dominants, bêtes et méchants. Que représentent-ils pour toi ?
C’est avant tout une joie de les incarner. Il est toujours plus amusant de jouer les méchants que les gentils. À mon sens, ils sont plus colorés et profonds que leur opposée. Il est toujours plus amusant d’aller chercher en soi ce que l’on a de mauvais que l’inverse. J’aime l’idée que ce spectacle soit une façon de venger les spectateurs des oppresseurs que l’on peut rencontrer tous les jours à travers celui que nous pouvons avoir en nous.
On ressent beaucoup de cynisme dans l’écriture de ton spectacle. À quel point ce sentiment est-il décorrélé de ton ressenti personnel ?
Dans la vie privée, je ne suis pas tellement cynique. En revanche j’aime l’ironie car elle nous permet de mettre une distance par rapport aux méchancetés que l’on peut débiter (rires). Mais globalement disons que je suis plus Pierre Palmade que Gaspard Proust.
Tu es comédien, acteur, auteur, metteur en scène… Comment parviens-tu à articuler ces différentes casquettes de ta carrière ?
On me demande rarement d’être metteur en scène. Je ne l’ai fait que deux fois mais j’ai adoré ! J’aimerais donc vraiment me relancer dans cet exercice. Pour le reste, l’articulation de ma carrière se fait un peu au hasard du calendrier. Lorsque je suis trop longtemps loin de la scène je m’impatiente. Il ne se passera donc jamais dix ans sans que je ne monte sur scène pour enchaîner les rôles au cinéma. Bien que j’adore le septième art, je trouve le fait d’être sur scène plus galvanisant que les journées sur un plateau de tournage.
Justement, qu’est-ce que t’apporte la scène que ne t’apporte pas le cinéma ?
Tellement de choses… Le fait d’avoir le public en face nous impose quasiment à un numéro de charme en live, une véritable danse du ventre (sourire). Une épreuve de séduction dans laquelle il existe toujours le risque de se faire refouler. La scène est un rencard avec le public. Au cinéma on a la possibilité de corriger nos erreurs, ce qui rend la prestation moins naturelle dans un sens. Au théâtre il faut réagir en direct, manœuvrer avec les autres comédiens en fonction du direct. C’est quelque chose qui me fait davantage vibrer.
Tu as écrit deux spectacles. Les deux ont été récompensés par un Molière. Tu peux nous donner la recette du succès ?
Un jour, Fanny Ardent a dit que les Molière c’est comme une glace ; « en vrai ça ne change pas grand-chose, mais dans le fond, ça fait vraiment très plaisir ». Concernant la recette, tu dois t’en douter, mais il n’y en a pas. En tout cas pas que je sache (sourire). Une des explications est peut-être liée au fait que je joue longtemps mes spectacles. Cela me laisse le temps de travailler, de m’améliorer sur des choses qui peuvent moins bien marcher. Je répète beaucoup et je ne joue jamais une pièce que je n’ai pas travaillée. Si je ne suis pas sûr du résultat final je ne monte pas sur scène. Finalement je les ai peut-être à l’usure (rires).