William Cardoso : itinéraire d’un enfant déterminé
Cette rentrée, le chorégraphe et danseur William Cardoso est lauréat de la résidence aux Uferstudios Berlin. Ces six semaines au pays de la Currywurst lui permettent de s’immerger dans la scène créative du quartier de Wedding, de collaborer avec des talents teutons et d’explorer de nouvelles approches pour ses performances. Porte-drapeau arc-en-ciel, cette opportunité vise à renforcer son développement professionnel à long terme et à promouvoir les causes qu’il défend, notamment au sein de la communauté LGBTQI+. Entretien avec un esthète du mouvement…
Le Portugais/Luxembourgeois travaille sur son projet intitulé « Angriff » qui explore une scène intime entre deux hommes et cherche à créer une performance qui dépasse les limites du sol, s’élevant vers de nouveaux sommets. Son travail célèbre l’esprit contradictoire, imprévisible, créatif et engagé. À trente ans, il aborde des thématiques intimes et personnelles qui touchent tout le monde. Ses pièces pointent du doigt une société hétéronormée et patriarcale. Un dialogue des corps en contradiction avec leurs esprits. Son travail se rapproche d’une idée de danse contact prise à contresens qui se résume par un aspect non fluide et des mouvements secs et bruts. William Cardoso se définit d’ailleurs lui-même comme un garçon affamé par le changement et habité par la rage de l’injustice…
Tu as développé au long de ces trois créations en date (Raum, Dear Mum, Baby) une identité propre dans un langage singulier. Comment définis-tu ton œuvre dans sa globalité ?
Une pièce de danse, de mouvement, de vie. Chaque œuvre est un accouchement artistique, marquant une période précise de mon existence. Mon travail et ma vie sont indissociables. À chaque nouveau projet, je me demande qui je suis aujourd’hui, et c’est ainsi que j’entame une nouvelle recherche. Je veux m’identifier à ce projet. Avant d’appartenir au public, aux interprètes ou à la production, une création est très personnelle. Je perçois le résultat final comme intense, un voyage émotionnel, une histoire, une narration, mais surtout un combat, une lutte.
Quel genre de dialogue le corps te permet-il d’exprimer ?
À travers la parole, nous cherchons toujours à exprimer quelque chose de concret pour que notre auditeur suive l’histoire. Quand nous dansons, notre dialogue ou monologue est purement émotionnel. Il se manifeste à travers le mouvement, porté par une sensation ou une idée. Nous évoluons dans quelque chose de plus vaste, aussi fluide que nos émotions. Mon travail transmet des sensations et des images fortes, permettant aux gens de créer leur propre signification. Je souhaite ajouter que, de mon point de vue, danser établit une connexion avec mon enfant intérieur. Cet enfant qui n’a rien à prouver, qui est libre de faire n’importe quoi, qui se lâche et joue avec une thématique imposée. Il exprime une liberté d’exister.
Tu nous réserves quoi pour 2025 ?
Cette année 2024 est déjà très chargée et magnifique. En ce moment, je travaille sur la nouvelle création « Angriff » aux Uferstudios à Berlin, qui sera présentée au Kinneksbond les 18 et 19 octobre 2024, une première suivie de plusieurs dates de tournée. En 2025, je me concentrerai sur une nouvelle pièce « Deadline », pour laquelle j’ai commencé la recherche cette année. Cette œuvre aborde la rupture sous différentes formes : amoureuse, sociale, émotionnelle et physique, marquant la fin de quelque chose pour laisser place à autre chose.
Quel a été le déclic pour embrasser ta carrière ?
Il n’a jamais existé d’autre option dans ma tête ni d’autres choix ou voies possibles. Depuis mon enfance, je voulais danser, créer et faire ce que je veux de ma vie, sans suivre des schémas traditionnels. J’ai eu plusieurs déclics. En grandissant, les gens qui s’opposaient à mon choix, que ce soit à l’école ou à la maison, m’ont donné encore plus de force et de détermination pour tracer ma propre route et construire la vie que j’ai aujourd’hui. Cela m’a confirmé que j’étais sur le bon chemin, parce qu’il m’appartient. En rencontrant des personnes influentes dans le monde de la danse qui croyaient en moi, j’ai pu entrer en osmose avec mes choix, faire confiance à ma carrière et, comme tu le dis, l’embrasser entièrement.
Peut-on être catholique et gay ?
Tant que nous sommes bienveillants envers nous-mêmes et les autres, nous devrions pouvoir appartenir à une religion tout en étant lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers, intersexes, asexuels, etc., sans avoir à trop réfléchir si c’est acceptable ou non. Ce qui n’est pas acceptable, c’est d’être raciste, homophobe, violent ou violeur. Ça, c’est pas ok.
Le Luxembourg t’a aidé à asseoir ta carrière ?
Absolument. Les personnes que j’ai rencontrées et que je continue de rencontrer au Luxembourg ont joué un rôle crucial dans le développement de ma carrière. Le soutien que j’ai reçu de la part de la communauté artistique luxembourgeoise a été inestimable. Dès le début, j’ai eu la chance de travailler avec des professionnels passionnés et talentueux qui ont cru en mon potentiel. Les institutions culturelles locales, telles que le TROIS C-L, Kultur | lx, le ministère de la Culture et les nombreux festivals de danse, m’ont offert des opportunités incroyables pour présenter mon travail et développer ma vision artistique. De plus, les collaborations avec d’autres artistes luxembourgeois ont enrichi ma pratique et m’ont permis de grandir en tant que chorégraphe. Les échanges constants, les critiques constructives et les encouragements ont été des moteurs essentiels dans ma progression. Enfin, le soutien financier et logistique de diverses organisations culturelles au Luxembourg a permis de concrétiser de nombreux projets ambitieux. Que ce soit par des résidences artistiques, des subventions ou des programmes de formation, ces ressources m’ont donné les moyens de me concentrer pleinement sur ma création et d’explorer de nouvelles voies artistiques. En résumé, le Luxembourg a été et continue d’être un terreau fertile pour ma carrière, me fournissant les outils, le réseau et le soutien nécessaires pour m’épanouir en tant qu’artiste.
Y’a quoi dans ta playlist « Summer 2024 » ?
Ma playlist « Summer 2024 » est un mélange éclectique de sons et de genres. J’écoute les derniers albums de Jungle et Billie Eilish, ainsi qu’un album plus ancien de Solange. Ma sélection voyage à travers différents horizons avec The Angelcy (Secret Room), Rokia Traoré (Laidu), Orion Sun (Already Gone), Okgiorgio (okokokok), Charlotte de Witte, Silva (A Cor é Rosa), Rubel (Melo Bobo), et Alceu Valença (La Belle du Jour). Enfin, Meuko! Meuko! vient compléter tout cela !
De quoi es-tu le plus fier ?
La fierté n’est pas un sentiment qui domine mon être. Cependant, il m’arrive parfois de voir où j’en suis dans ma vie et de comparer mon état émotionnel à celui d’avant. Et cela, ça me fait sourire.
En club avec des amis, tu en profites pour faire une démo de danse ou tu la joues profil bas ?
J’ai mes quarts d’heure de folie, mais sinon je joue très discret. Pour l’anecdote, mon meilleur pote s’est marié au début de cet été. À la table où j’étais assis, nous devions créer une chorégraphie et la présenter en fin de journée. C’était drôle, mais difficile pour moi de me mettre ainsi en lumière. J’aime bien rester dans mon coin.
Définis un bon danseur.
Quelqu’un qui a une facilité à se laisser aller et qui aime prendre des risques physiques et émotionnels en studio. Quelqu’un qui n’a pas peur de se confronter à la difficulté du mouvement ou du sujet. Quelqu’un qui est dans l’instant présent avec moi. Et surtout, quelqu’un d’engagé et de motivé au quotidien.
Quel est le meilleur retour du public ?
Le besoin de me faire un câlin.
Tu travailles sur le coming out, il était comment le tien ?
Ouh là, c’est loin. J’ai investi beaucoup de temps en thérapie psychologique et spirituelle. C’était difficile, compliqué, dégoûtant, blessant, dur, rabaissant et humiliant. J’avais une seule envie : disparaître, fermer les yeux et ne plus exister. J’ai tellement appris sur moi-même, mon éducation et mon entourage, et j’ai pu me reconstruire petit à petit et m’éduquer moi-même. Grâce à mon coming out, aujourd’hui, je suis sûr de moi, je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas. Je n’ai plus vraiment peur de la vie ni de personne. Le chemin a été difficile et long, mais aujourd’hui, je suis un être humain qui s’assume, bien dans ses baskets. Je suis présent et vivant. Grâce à mon coming out, j’ai aussi pu découvrir une communauté remplie d’amour, de bienveillance et de force pour lutter pour nos droits.
C’est comment un coming out réussi ?
J’espère qu’il n’y aura plus besoin de se justifier par rapport à qui nous sommes dans un futur proche. Ça suffit, non ?
Angriff, c’est le vendredi 18 et samedi 19 octobre au Kinneksbond de Mamer.
Ce format ARTY est également à retrouver dans le Bold Magazine #87, à lire en ligne ici!
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