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Yelle : « Nous n’avons pas la volonté de faire une musique intemporelle »

Interview : Mathieu Rosan. Photo : Marcin Kempski

Six années après Complétement Fou, Yelle fait son retour avec L’Ère du Verseau, un quatrième album teinté de nuances et de thématiques plus sombres qu’à l’accoutumée. Composé de Julie Budet et du producteur GrandMarnier, le duo nous propose un album plus intimiste et mélancolique où tubes de club et douces balades s’entremêlent. Pionnier d’une chanson électro-pop en français qui a su séduire dans le monde entier, Yelle confirme tout le bien que l’on pensait d’eux. Rencontre avec Julie Budet pour évoquer  l’un des projets musicaux les plus aboutis de l’année passée.

C’est une question que l’on doit te poser souvent, mais pourquoi avoir placé ce nouvel opus sous l’égide du Verseau ?

Plus qu’un signe astrologique, c’est surtout une ère que l’on évoque ici. Celle qui arrive et qui succède à l’ère du poisson, plutôt régie par le pouvoir, la violence, la guerre ou encore la religion. De manière plus large, tout ce qui concerne le pouvoir pyramidal. On aimait beaucoup l’idée de parler de cette période qui lui succède et qui s’annonce plus égalitaire et fraternelle. Nous traversons un moment compliqué et, même s’il n’y a pas de chansons qui évoquent cela précisément, nous avions envie que les gens puissent se questionner en voyant le titre de l’album et capter le message positif qui lui été inhérent. 

Justement, tu évoques ce message positif et pourtant, contrairement à Complétement fou, sorti il y a 6 ans, Yelle propose ici un opus qui semble beaucoup plus sombre et mélancolique. On imagine que c’est parce que c’est quelque chose qui vous ressemble plus aujourd’hui… 

Je pense, oui. Nous essayons toujours d’être en accord avec nous-mêmes et de refléter les choses que l’on vit, que l’on ressent, qui peuvent nous toucher et nous émouvoir. Sur cet album, nous nous sommes rendu compte que nos créations étaient en effet beaucoup plus mélancoliques. Nous aimons pouvoir refléter nos émotions, ce que l’on vit à l’instant présent. En l’occurrence, même si cet album peut paraître plus sombre, on y trouve aussi beaucoup d’espoir. Finalement, il fait un parallèle avec ce que l’on peut vivre actuellement. 

Est-ce également un moyen pour vous d’assumer certaines facettes plus souterraines de votre personnalité à tous les deux ?

Complètement ! Il n’est pas toujours évident de trouver la balance entre les choses que l’on souhaite raconter de soi et celles que l’on a envie de préserver. Nous devons trouver cet équilibre entre le fait de pouvoir être dans la sincérité avec le public tout en gardant les histoires que nous aimons inventer dans nos chansons. Je pense effectivement que nous sommes arrivés à cet âge où l’on assume beaucoup plus les choses. Nous avons plus confiance en nous. Nous avions donc envie d’explorer cette partie-là, de nous dire qu’elle fait partie de ce que nous sommes au plus profond. Nous sommes des adultes avec une âme d’enfant. Nous avons toujours cette naïveté, mais nous sommes effectivement beaucoup plus conscients de nos faiblesses. Nous les acceptons peut-être plus et nous avons aussi davantage le désir d’en parler, car nous sentons que cela raisonne chez les autres. C’est finalement quelque chose de générationnel. Les étapes de nos vies font écho avec ce que vivent les gens de manière générale donc nous essayons d’être le reflet de leurs émotions. Lorsque j’écoute de la musique, j’ai envie que cela me parle, de me retrouver dans certains passages de vie qui me paraissent importants. C’est comme une petite bouée à laquelle on peut s’accrocher quand les choses ne vont pas. 

Porté par une esthétique résolument plus undergroud, ce nouveau langage semble également se faire plus mature. Est-ce une chose que l’on retrouvera à l’avenir ou est-ce finalement lié au « mood » du moment ?

Ce qui est certain, c’est que je ne m’interdis rien. À l’avenir, on peut très bien faire un retour dans quelque chose de beaucoup plus coloré ou positif. Rien n’est figé ! Ce n’est pas parce que l’on prend de l’âge (sourire) que l’on a plus le droit de faire certaines choses. Il serait dommage de s’enfermer dans un genre, alors que justement tout bouge autour de nous. Nous sommes vraiment dépendants de nos émotions et du monde dans lequel nous vivons. Si le climat s’apaise à l’avenir et qu’il s’harmonise, peut-être aura-t-on le désir de se lancer dans quelque chose de plus lumineux. Ce n’est peut-être qu’un passage, mais c’est effectivement une partie de moi très importante et il était nécessaire d’y venir un jour. 

Nous sommes vraiment dépendants de nos émotions

Julie Budet

Justement, on retrouve le synthé qui a forgé l’identité musicale de Yelle, dilapidé un peu partout sur les pistes. Malgré les évolutions de votre duo, on sent une volonté de conserver la base de ce qui vous a construit artistiquement…  

On aime beaucoup dire que l’on fait de la musique temporelle qui s’inscrit dans un moment. Un son qui nous inspire et que l’on aime tout simplement. On se dit que si l’album sonne « 2007 », « 2011 » ou aujourd’hui « 2020 », c’est tant mieux ! Nous n’avons pas cette volonté de faire une musique intemporelle. Bien évidemment, on peut parfois avoir des inspirations typiques de certaines périodes, comme avec les années 80 ou 90, mais on a quand même à cœur d’être ancré dans notre génération et dans le moment ou les choses sont créées. Cela fait longtemps que nous faisons de la musique et nous avons effectivement envie de proposer quelque de reconnaissable immédiatement. D’ailleurs, on ne s’en rend pas compte tout de suite, mais si tu le dis, cela confirme ce que nous venons de dire. Et c’est tant mieux ! Si c’est notre marque de fabrique, ça me va (sourire). 

Dans ce nouvel album, vous explorez votre rapport à l’autre et à vous-même, mais surtout la relation puissante que vous entretenez avec votre public. C’était un besoin pour vous ?

Cela faisait six ans que nous n’avions pas sorti d’albums et je crois tout simplement que l’on s’est rendu compte que nous faisions de la musique pour le public et les sensations que cela pouvait lui provoquer. Que ce soit en les faisant danser en concert ou en leur procurant des émotions lorsqu’ils sont chez eux et qu’ils écoutent notre musique. On se rend compte que l’on a une relation particulière avec lui depuis longtemps. Nous ne voulons pas simplement raconter nos histoires, mais aussi instaurer une relation de longue durée avec notre public. C’est chouette de se dire qu’il existe cette continuité et cette fidélité avec lui. On avait donc envie de lui parler directement et de lui dire à quel point il compte pour nous. 

Entre la tecktonik d’À cause des garçons, la dance de Safari Disco Club et la pop-électro acidulée de Complétement fou, le groupe n’a eu de cesse de choisir la fête comme décor. C’est moins le cas aujourd’hui. C’est lié à la période ou à plus de sagesse liée à l’âge ?

Il doit y avoir de ça (rires) ! Dans ce que l’on propose aujourd’hui, il y a peut-être une autre manière d’aborder la danse. Lorsque l’on écoute les morceaux, on se rend compte qu’ils sont tous « dansables ». Je pense notamment à Karaté ou Émancipense qui appellent à la danse. Évidemment il y a ce facteur de l’âge que tu me rappelles (rires) qui est d’aller vers quelque chose de plus posé. Nous sommes plus dans l’introspection que de la danse « fofolle » où je me lâche complètement. Dans Émancipense il y a cette idée de « je danse, mais je pense » et de « je danse donc je suis ». Dans Karaté c’est quelque chose de plus guerrier avec des mouvements d’arts martiaux. Dans les deux cas, il y a toujours cette volonté de faire bouger les corps, mais avec davantage une volonté d’introspection que de faire la fête à tout prix. 

Une autre manière d’aborder la danse

Julie Budet

Tu as récemment déclaré que vous aviez « toujours imaginé vos concerts comme des espaces de liberté ». Malheureusement, en ce moment, cette idée est un peu malmenée. Comment appréhendez-vous vos concerts avec les restrictions actuelles ?

Je dois t’avouer que je suis très angoissée (rires). Au départ je m’étais dit qu’il était hors de question de faire des concerts avec des gens assis et masqués, car cela n’était pas en accord avec notre philosophie et la musique que l’on fait. Et puis, on a réfléchi, et on s’est demandé pourquoi on faisait de la musique. Nous sommes tous dans une situation qui est désagréable. Il y a une accumulation de choses très lourdes, et si finalement nous pouvons être la petite parenthèse agréable de leur journée, et bien on se doit de le faire même si cela nous met en danger artistiquement, car il faut repenser ce que l’on a l’habitude de faire, l’adapter et être beaucoup plus dans l’interprétation et l’émotion. Beaucoup plus que dans l’énergie. C’est une adaptation pour nous et pour le public, mais notre rôle en tant qu’artiste est de faire notre possible pour que les gens puissent quand même s’extraire de leur quotidien. 

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