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Bold 67

 

Issu de la génération Y, en bon millénial que je suis, j’ai pleinement vécu les bouleversements numériques amorcés dans les années 2000 avec l’émergence du web 2.0. La douce mélodie des wizz sur Messenger que je pouvais recevoir à l’époque résonne d’ailleurs encore dans mon esprit et fait désormais partie de l’énorme boîte de madeleines de Proust rassemblant les insouciants souvenirs de mon adolescence. J’avais alors la candeur de passer mes soirées à martyriser la langue française à coup d’écriture simplifiée sans me rendre compte que nous n’étions qu’à la genèse d’une révolution bien plus grande. 

Nostalgique d’une époque où nous ne vivions pas pour nous afficher auprès d’autrui, la publication récente d’un partenariat ubuesque par une Instagrammeuse a mis en exergue une situation que même les scénaristes de Black Mirror n’auraient pas osé imaginer. Ancienne candidate de téléréalité (je sais, on pourra peut-être me reprocher de tirer sur l’ambulance) avec plus de 2,5 millions d’abonnés, cette dernière a publié une story visant à proposer un code promo afin de faire l’acquisition de… faux livres ! Qu’est-ce qu’un faux livre me direz-vous ? Dans le cas présent, il s’agit d’un parallélépipède décoratif en plastique ou en carton, reprenant l’aspect d’un ouvrage consacré à une maison de haute couture. Les pages et les mots en moins bien évidemment. Pourquoi s’encombrer du superflu alors que, je cite : « ce faux livre est bien moins cher que les vrais livres officiels avec des pages ». Une affaire à ne pas louper « permettant de décorer votre intérieur ». On sait que le soleil tape fort à Dubaï, nouvel eldorado des stars de téléréalités et des réseaux sociaux, mais quand même. 

S’il fut un temps où nous admirions des personnalités du monde littéraire, de la musique, du sport, de l’art ou encore du cinéma, aujourd’hui le talent ne semble plus être un prérequis pour susciter l’admiration d’une communauté. Sur un réseau ou l’esthétisme et le paraître prévaut sur tout, les faux livres décoratifs sont finalement l’illustration parfaite du néant intellectuel proposé par certains de ses utilisateurs. Le consumérisme s’est ainsi digitalisé et le déclenchement d’un achat peut désormais se faire simplement par volonté de mimétisme à l’autre. Au-delà de vampiriser nos existences, Instagram et consorts sont donc parvenus à faire naître une dépendance à une multitude de contenus vides de sens comme jamais l’histoire de l’humanité n’en avait produit. Désormais, nul besoin d’avoir un talent particulier, la seule exposition de sa propre personne, aussi banale soit-elle, peut devenir un atout pour intéresser des millions de personnes. 

J’aurais peut-être dû me lancer finalement… 

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