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 Amnésie 2.0 

Il n’y a pas un édito où la tentation de revenir sur l’une des dérives du web 2.0 ne gratte à la porte de mon cynisme. Pourtant, je vous assure que je fais tout pour ne pas m’attarder sur les dimensions néfastes de certains débats présents sur les divers réseaux sociaux. Seulement voilà, alors que j’avais décidé de ne pas porter d’attention au phénomène de « cancel culture », une nouvelle polémique a jailli il y a quelques semaines autour du film d’animation Blanche-Neige. Un article signé par deux journalistes du journal San Francisco Gate interroge ainsi le fameux baiser du prince : s’agit-il d’un acte non consenti ? Les films Disney véhiculent-ils des archétypes du patriarcat ? Faut-il supprimer cette scène ? Si cela ne semble choquer personne que Blanche-Neige vive seule avec sept nains – personnellement j’ai toujours trouvé cette cohabitation douteuse -, ce sont autant de questions posées au nom d’un progressisme échevelé. 

Venu des États-Unis, le mouvement s’invite donc dans toutes les sphères du débat culturel et se donne la possibilité de nuire, ou d’éliminer les supposé(e)s responsables des maux dont souffrent notre société (outre le prince dans Blanche-Neige, certains chats dans les Aristochats, le Marsupilami ou encore le loup de Tex Avery ont également été pointés du doigt). Cette nouvelle forme de « justice sociale » (qui vire souvent au cyber-harcèlement) est notamment parvenue à faire plier Disney, dont les dirigeants ont décidé, pour des raisons éthiques (mais également commerciales), d’exercer à l’égard de leur propre catalogue historique une forme pernicieuse de révisionnisme culturel. S’il a fallu du temps au géant de l’animation avant de nous proposer des héroïnes éloignées des clichés sexistes que l’on peut assigner à ses premiers films, on peut en revanche se demander les raisons qui poussent la firme américaine à vouloir se refaire une virginité à tout prix.

À force de vouloir constamment effacer certaines représentations contestables du passé, jusqu’où devrons-nous participer à cette réécriture de l’histoire ? Quid de certains des plus grands auteurs, dont les œuvres sont à la fois marquées par le génie littéraire, mais également par des clichés inhérents à leur époque ? 

Le ressort de la « cancel culture » apparaît donc comme foncièrement manichéen : il y a un parti à prendre, sans que ne se pose vraiment la question duquel choisir. Quels qu’en soient les fondements, la sanction semble légitimer la condamnation. Alors que la censure n’a jamais été synonyme de progressisme, il serait bon d’être en mesure d’analyser une œuvre dans son ensemble, son époque et avoir le recul nécessaire pour ne pas tomber dans l’hystérie totale. Faire tomber dans l’oubli les erreurs du passé ne permettra pas de les éviter à l’avenir. À l’heure où nous déconfinons enfin nos corps, ne laissons pas une minorité confiner notre esprit. 

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