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Clet Abraham: «Ma défense, c’est la population»

Texte : Raphaël Ferber
Photos : Raphaël Ferber

Son nom fait le tour de l’Europe et même d’une partie du monde. Clet Abraham, fils d’un écrivain français, s’attaque aux interdits véhiculés par les panneaux de signalisation. Fin d’année dernière, il exposait à Luxembourg. On en a profité pour parler d’autorité, qu’il aime tourner en dérision.

C’était une nuit de décembre et Clet Abraham avait pas mal galéré dans Luxembourg à faire ce qui l’amuse depuis un petit bout de temps maintenant : détourner des panneaux de signalisation en utilisant des stickers conçus chez lui, à Florence. Le trublion a sévi dans plusieurs villes d’Europe: en Italie bien sûr, où il a élu domicile il y a quelques années, à Mulhouse, Paris, Osaka, une ville d’où il n’est pas parti indemne… Mais cette nuit-là, le froid et le gel avaient glacé la plupart des panneaux du Grand Duché, rendant sa mission, si ce n’est impossible, vraiment plus compliquée. On l’a rejoint le lendemain pour retrouver les quatre panneaux «détournés», à l’angle de la rue Wiltheim notamment.

Quel est ton mode opératoire? Tu agis la nuit, sans autorisation?
Clet Abraham: Généralement la nuit, mais pas seulement. En Europe, je travaille souvent le jour. Quand je fais ça sérieusement, je prends mon vélo: il me sert d’échelle et à me déplacer rapidement et discrètement dans la ville. Les autocollants que j’applique ont été découpés et dessinés à l’avance de façon très précise afin qu’ils épousent les formes du panneau et qu’ils soient adaptés à ses dimensions.

Tu sévis surtout sur les sens interdits, semble-t-il.
Oui, pour deux raisons : Déjà, c’est le panneau le plus fréquent. Mais c’est surtout parce que c’est celui qui a le sens le plus marqué et qu’il est universel. Mon travail parle des interdits. Et à travers ça, de l’autorité, de l’obéissance, de la loi, de la justice… C’est une réflexion sur l’imposition de la loi. Quelque part, cette imposition, c’est une négation de nos droits intellectuels, de notre capacité à réfléchir, à être critique. Je n’aime pas qu’on m’impose des choses. Chez moi, ça donne lieu à une réflexion.

Tu t’es déjà fait chopper par la police ?
Bien sûr. En Europe, ça se passe plutôt bien. On discute. Je leur explique ce que je fais, pourquoi je le fais. J’ai eu quelques problèmes en Italie, mais parce que j’y vis et du coup, j’en ai mis beaucoup. Là-bas, je ne paie pas mes amendes. S’ils me relancent, je le publie (sur les réseaux sociaux, ndlr) et ils passent pour des cons! Ma défense, c’est la population. En général, les gens apprécient et comprennent ce que je fais. Je vois mon travail comme un baromètre de démocratie. Là où il est toléré, il y a une liberté d’expression. Quand ce n’est pas le cas, c’est qu’on est dans un pays autoritaire.

En parlant de pays autoritaire, peux-tu nous parler de ce qu’il t’est arrivé au Japon, où ton art a été visiblement perçu comme un affront?
Ma compagne a été retenue six mois là-bas. Ça a été très lourd comme bilan, c’est la preuve que le Japon n’accepte pas du tout l’expression populaire. À la base, on voulait y rester une semaine, elle m’accompagnait sur les panneaux. On était en janvier 2015. Il était prévu, après mon retour en Italie, qu’elle reste une dizaine de jours en famille, comme elle est Japonaise. La police nous a cherchés et est tombée sur elle. Elle a eu droit à deux mois d’interrogatoire tous les jours, a été privé de tous les moyens de communication possibles et l’appartement de sa mère a été mis sur écoute. C’était de la folie. Je n’ai eu aucun contact avec elle pendant six mois.

Ça semble assez incroyable…
Ils sont dans une logique qui n’a rien à voir avec la façon de penser de nous autres, occidentaux. J’ai reçu des coups de fil pour me dire que ce sera pire pour ma compagne si je ne revenais. Elle a fait l’objet de toutes les pressions psychologiques possibles de la part d’une police qui a -officieusement- tous les droits, qui se comporte d’une façon déloyale et illégale. Pendant deux semaines, tout le pays ne parlait que de mes panneaux. En mal, bien sûr. Il y a eu une pression de la part de la presse pour étouffer toute tentative de soutien populaire.

Ta compagne a digéré ?
Elle cherche à changer de nationalité. Elle est fâchée à mort avec son pays.

Interview à lire en intégralité dans Bold #44

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