Mangro,
Retranscription Etienne Poiarez
Photo Romain Gamba
Illustrateur du tout Luxembourg, vous avez sûrement déjà croisé un dessin de Marc Angel quelque part. Dessinateur, bédétiste, illustrateur, peintre, cet artiste au style parfois incisif, d’autre fois souple et doux, connaît une paisible notoriété sous le nom de Mangro. Artiste de tous les possibles, ses dessins délivrent tantôt un message brutal, parfois une ironie sans faille, mais toujours au grand toujours, une narration omniprésente, fusionnelle, indispensable. Mangro est un dessinateur écrivain, un mec qui sait conter des histoires comme peu savent le faire, «Après mon roman graphique Le Yas (scénario de J-L Schlesser) qui vient de paraître, deux livres sont prévus pour début 2016».
Mangro, qui es-tu?
Mon nom entier est Marc-Angel et j’opère depuis peu sous le pseudonyme de Mangro car je suis très souvent confondu avec le politicien. Au début, c’était plutôt marrant mais à la fin, ça commençait à m’agacer donc j’ai ajouté ce pseudonyme pour un peu faire un peu la différence. De métier, je suis artiste-illustrateur, surtout illustrateur et auteur de BD. Je travaille quand je le peux sous ma propre régie, mais la plupart du temps, c’est plutôt des commandes que j’exécute. J’ai un concept un peu spécial, c’est que j’essaie, en tant qu’auteur de BD, d’engager toujours des gens qui sont prêt à soutenir mon projet. C’est une démarche qui a pas mal de contraintes mais qui fonctionne quand même. Si au Luxembourg, on veut faire de la BD, il faut être prêt à s’arranger avec sa clientèle et ce qui intéresse beaucoup ici, c’est surtout les sujets historiques, et là on va très souvent travailler avec des institutions, des communes, des organisations qui sont intéressés pour soutenir ça.
Tu es également auteur, tu écris…
Parfois, je fais juste l’illustration mais il y a aussi des albums où j’ai écris le scénario. Le plus souvent, pour des commandes de ce genre-là, j’écris les scénarios, en tenant compte des contraintes que je dois suivre. Mais le résultat est quand même assez proche de mes goûts. Je ne vais pas me plier à des exigences au niveau du style ou du contenu. C’est plutôt au niveau du sujet mais pour le reste je me débrouille.
Tu as toujours su que tu voulais faire ce métier-là?
Absolument. Je crois que je suis né le crayon à la main. Mais pas seulement pour illustrer. Je suis féru de littérature et de dessin. Au début, j’ai surtout travaillé auprès d’agences de publicité et aussi pour différentes maisons d’édition au Luxembourg. Finalement, je me suis mis à mon propre compte. Quand je le peux, je travaille librement à des projets de ma propre initiative et puis j’ai des commandes que j’exécute.
La BD est-elle ton domaine de prédilection?
Oui. Même lorsque je fais de la gravure ou de la peinture, j’ai un côté très narratif. J’ai toujours envie de raconter des histoires, même s’il n’y a pas de texte, même s’il n’y a pas de séquence entière, une image peut raconter une histoire.
Dans ton travail, ce qu’on ressent beaucoup, c’est le côté historique mais aussi les mythes et légendes du Grand-Duché ou même d’ailleurs… Il y a une passion derrière tout ça?
Oui, bien sûr! Il faut s’informer, se documenter. Si je fais une BD, ça ne pardonne pas. C’est pire qu’un film. Là, tu prends juste les angles de vue que tu veux et le reste, tu coupes mais dans une BD, tout le monde peut voir chaque détail, s’attarder dessus. S’il y a une gaffe, il y a toujours quelqu’un qui va remarquer. Après, il y a toujours des gaffes évidemment mais pour éviter ça, pour être le plus authentique possible, ce qui est aussi un défi, il faut beaucoup se documenter, s’informer, aller sur les sites. Je crois que cela fait partie du travail de bédéiste. Même si tu es dans le contemporain, tu dois te documenter car c’est un art très précis, très pointu si tu veux.
C’est ce que tu recherches dans la BD?
Je ne suis pas Hergé, mes dessins ne sont pas aussi expressifs mais pour avoir quelque chose comme ça, il faut être sûr de son coup. Il faut savoir comment les personnages s’habillaient, l’architecture de l’époque. Même si on stylise le dessin, il ne faut pas tricher.
L’esthétique se décide par rapport aux commandes, on te le demande ou c’est toi qui veux différencier les choses?
Non on ne me le demande pas. Je ne suis pas un auteur de BD classique dans le sens où je n’ai pas un personnage comme Tintin ou Corto Maltese. J’ai chaque fois une autre histoire à traiter, avec de nouveaux personnages. Du coup, je peux aussi changer de style mais cela reste toujours ma patte. Parfois, il y a des sujets plus humoristiques, qui s’adressent plus à un jeune public et j’ai aussi changé de style, cela me permet d’évoluer, de ne pas faire du surplace.
Tu n’as pas envie de te cantonner à quelque chose de bien précis?
Peut-être qu’au fil du temps, je me suis trouvé une façon de procéder mais pour l’instant, je fais des choses tellement différentes que je ne veux pas m’enfermer dans une esthétique.
Et pourtant, Le Kveldulf (une de ses BD) a quelque chose qui tire vers Le Yas (sa dernière BD), en noir et blanc, avec des traits très stylisés.
Disons que ça, c’est un peu ce que je considère comme étant mon point fort. C’est très expressif, avec un jeu sur le noir et blanc, avec des sujets qui me permettent de me défouler un petit peu, c’est ce que j’adore.
Le Yas est paru dernièrement, tu peux nous en parler?
Je l’ai fait avec un scénariste qui s’appelle Jean-Louis Schlesser. On a d’abord fait un premier tome, sorti à une centaine d’exemplaire, pour le festival de BD de Contern, à titre d’essai. C’est juste une quarantaine de pages, ce n’était qu’un début. Ensuite, on la pré-publié dans Le Jeudi et ça s’est terminé en janvier 2015 et maintenant on a publié le premier roman graphique du Luxembourg.
Ce sera prévu en deux tomes?
Oui, pour un total de 120 pages. Ce n’est pas énorme pour un roman graphique mais mon éditeur a trouvé que, pour un public qui n’est pas habitué à ce type de publication, c’était peut-être mieux de le faire en deux tomes, pour se rapprocher du format traditionnel.
Comment s’est passé la création de ce roman graphique?
Jean-Louis Schlesser s’est adressé à moi avec un scénario de film. Il a travaillé sur de nombreux films comme Réfractaire (2008). Il voulait d’abord en faire un court-métrage. On a commencé à travailler ensemble, on s’est tout de suite entendu. On a mis deux ans pour développer le scénario, sans que je dessine beaucoup. Ensuite, on a essayé de le publier. On a trouvé cette solution avec Le Jeudi. Deux planches par publication.
Et l’histoire du Yas?
L’histoire se base sur une légende des Ardennes, avec un personnage qui effrayait les habitants, sans vraiment être dangereux. Il aurait caché un trésor au fond d’un puits qu’il surveille, qu’il aurait obtenu en vendant son âme au diable et il a été condamné à réapparaître pour faire peur aux gens et détruire les récoltes.
On a essayé d’aller vers les sources de cette légende. On s’est demandé comment est né ce personnage, on s’est penché sur son enfance, imaginaire bien évidemment, mais on la situé dans un contexte historique réaliste. L’histoire se déroule au XVIIe siècle, dans la région de Wiltz, non loin du château, pour le contexte historique. On aborde l’enfance, la jeunesse du personnage et puis il y a le sujet du trésor au fond du puits qui revient, surveiller par ce qui est devenu Le Yas, le monstre qui hante la population. On a le côté « super-héros » mais en méchant, avec un côté plus réaliste.
Kveldulf est sorti en août c’est ça?
Oui, tout est allé très vite. On m’a contacté pour me proposer ce projet qui m’a tout de suite fasciné. J’ai mis tous mes autres projets de côté pour réaliser Kveldulf. C’est un long poème, une œuvre épique qui a été réécrite par Jean-Michel Treinen. Les organisateurs du festival Séubühn Ënsber en ont fait un l’opéra-rock et ont souhaité que j’en fasse parallèlement un album puisqu’ils trouvaient que l’histoire se prêtait très bien à être illustrer.
Tu as fait toute la communication du festival du coup?
Oui, ils avaient trois évènements que j’ai illustré ; Le Cuirassé Potemkine, un classique du cinéma muet, l’opéra-rock et un concert de Goran Bregovic. C’était un peu osé de mettre tout ça sous un sujet commun. Mais le cinéma muet, avec son côté très expressionniste m’interpelle beaucoup. J’ai mis deux mois, avec la mise en page. Ça a été vite.
Et ça fonctionne très bien. Est-ce que tu peux expliquer l’histoire aux gens?
Cela se base sur plusieurs histoires nordiques. Au début, le personnage est au début un faible mais qui posséderait des pouvoirs extraordinaires, lui permettant de vaincre des créatures incroyables. Ce personnage, c’est Kveldulf le viking. Il y a un passage assez marrant, où il se retrouve tout d’un coup dans la réalité, on le prend pour un clochard et il est emmené par la police de Luxembourg-ville avant de retourner dans sa temporalité. C’est assez surréaliste. Dommage qu’il ne soit paru qu’en allemand mais ce sont des vers. C’est assez difficile à traduire.Je crois que le fil rouge dans tout ça, c’est la colère, la rébellion. On ressent ce côté martial dans les rythmes de l’opéra. C’est le fil rouge de l’histoire, la manière de gérer sa colère.
Et donc ta méthode de travail, c’est vraiment ce style?
Oui, si on devait réduire mon œuvre, c’est ce style qui prédominerait. J’ai une façon de faire ; je relève une phrase très brève ou un mot particulier qui me frappe c’est à partir de là que je développe mes illustrations.
Je voulais finir sur une question un peu plus détendu, c’était quoi ton rêve de gosse?
[Rire…] Mon rêve de gosse, c’était de pouvoir dessiner! Finalement, un rêve que je n’ai pas encore réalisé aujourd’hui, c’est d’aller au-delà des frontières. La plupart des artistes luxembourgeois qui veulent s’exporter vont vivre à l’étranger. J’ai dépassé cet âge-là, j’ai 55 ans, cela est toujours possible mais j’aimerai pouvoir franchir les frontières avec mes prochaines œuvres.