ST GERMAIN, Blues, Blanc, Rouge
Photo Julie Calbert
Ludovic Navarre est “St Germain” depuis 1993. Artiste électro multipiste, il ne s’est pas toujours affiché sous ce nom. Différents pseudos lui ont collé à la peau, comme Deepside, Modus Vivendi, et d’autres encore, suite à ses collaborations avec Laurent Garnier ou DJ Deep. Chaque nom faisait sens avec le projet mené et c’est finalement St Germain qui est resté, plus pour les frasques musicales que l’artiste développait sous ce “titre” que pour une quelconque histoire pieuse. D’ailleurs dans l’électro, Ludovic ne connaît pas de dieu, c’est lui qui mène sa barque et aucune “mauvaise vague” ne pourrait la retourner, ainsi soit-il! D’abord attiré par le blues et le reggae, pour ensuite dériver sur la soul, le jazz, les musiques latines et aussi l’African World, Ludovic, comme la plupart des grands compositeurs, entretient un rapport particulier, voire obsessionnel, avec la musique. 20 ans après Boulevard, un album stratosphérique qui changea le monde de l’électro, Saint-Germain s’est décidé à revenir. Le papa de la French Touch, avant garde électro, modérateur de la deep house, sort un disque éponyme aux couleurs Maliennes. Hypnotique, chaud et profond, l’album signe un come-back surprenant qui montre que l’artiste n’en a pas fini de se jouer des rythmiques et bafouer les frontières du genre!
- Comment tu en es venu à composer?
J’ai commencé à mélanger des voix blues avec un peu de guitare sur un fond deep house ou électro. Dans mes premières expérimentations, j’ai commencé à mélanger acoustique et électronique. Tout ça a commencé juste après French Traxx, avec Mother Land Hippie.
- A l’époque c’était assez nouveau en France…
Oui mais on connaissait déjà des voix américaines, plus traditionnelles, venant du blues. Il y avait des influences jazz dans la musique à cette époque, mais dans les sonorités, on n’avait pas encore mélangé de rythmiques jazz ou des thèmes plus traditionnels avec de l’électro. Comme si il y avait deux styles en un.
- Boulevard en 1995 fait plus de 200 000 fans. On dit que tu as été l’un des pionniers de la French Touch sur la scène électro internationale…
C’était ma première expérimentation avec ce mélange électro et des musiciens en acoustique, en studio mais aussi du côté scénique. On faisait les premiers live électro avec un pianiste, un percussionniste, un saxo et des trompettes.
- C’était un peu une période bénie pour toi?
Ça fonctionnait pas mal mais ça ne m’a pas empêché de m’arrêter pendant cinq ans. De 1995 à 2000 je n’ai plus rien produit, je n’étais pas très content de mon label. Quand on a sorti Boulevard, je pensais presque arrêter la production ou en faire juste pour le plaisir. Comme c’était à l’opposé de ce que tout le monde faisait, c’était voué au départ à ne pas marcher. Tout le monde était dans la techno assez dure, fallait que ça aille de plus en plus vite. Personnellement, à un moment, ça m’a saoulé. J’ai commencé à faire ce que j’aimais en me disant ça passe ou ça casse.
- Avec Tourist tu t’imposes encore une fois à l’avant-garde de la scène électro en travaillant en postproduction avec un ensemble de musiciens. Entre Rose Rouge, So Flute, Latin Note, Sure Thing, l’album est très vite une référence du genre…
J’ai fait ce que j’aime. Je ne pensais pas que ça marcherait à ce point. Je m’étais dit que ce serait comme pour Boulevard. Mais je ne pensais pas qu’il y aurait autant de vente et de dates de concerts. Tourist a eu beaucoup plus d’impact que Boulevard, aussi grâce à ma maison de disque, elle avait l’étoffe pour porter ce genre de projet. Peut-être qu’avec une autre maison de disque, Boulevard aurait pu faire aussi bien que Tourist. Je ne me suis jamais posé la question. Dans tous les cas je n’ai aucun regret. J’avais le désir de travailler avec des musiciens, donc je devais passer par une plus grosse maison.
- As-tu l’impression d’avoir influencé la scène électro actuelle?
Quand j’entends un peu ce qui se fait, c’est vrai que je retrouve le style St Germain. J’ai entendu des remix dans tous les sens sur YouTube et forcément on y entend du St Germain, je ne peux pas dire le contraire…
- Aujourd’hui, après 15 ans de silence, tu sors St Germain le 9 octobre… Qui s’impatiente le plus, toi, la presse ou les fans?
J’ai l’impression que mes fans et moi on est aussi impatients. La presse je ne sais pas trop, je n’ai encore pas vu grand chose ou alors on me le cache. J’ai vraiment envie d’aller sur scène, faire découvrir ça aux gens. J’ai hâte que les gens voient et entendent ces musiciens jouer.
- Pourquoi avoir attendu 15 ans pour revenir?
Après la tournée de Tourist qui a duré deux ans et demi, j’ai dû faire une pause parce que j’avais vraiment la tête pleine. J’ai produit et réalisé l’album de mon trompettiste en 2004 et ensuite j’ai commencé mes recherches musicales. J’ai eu beaucoup d’étapes différentes. Je suis passé d’un truc à la Tourist, mais ça m’a fatigué. Après je suis parti sur des sonorités africaines, en faisant un peu d’afro beat d’influence nigériane, mais je n’étais pas convaincu. J’ai recommencé mon travail de recherche en allant du côté du Ghana que je ne connaissais pas, mais encore une fois ça a été compliqué. Finalement je suis tombé sur le Mali. J’ai recherché des musiciens Maliens. J’ai failli aller au Mali mais la période où je devais y aller, le pays était en guerre. Grâce à l’importante communauté malienne qui réside à Paris, j’ai trouvé des musiciens assez roots et traditionnels. J’ai quand même fait enregistrer les voix de Nahawa Doumbia et Zoumana Doumbia sur le morceau instrumental, dans les studios de Bamako. Pour finir il y a eu une grosse phase de montage. On a jeté beaucoup de morceaux, ça a été long.
- Signé chez Nonesuch Records, ce disque est un peu un hommage au vrai blues?
Je le vois complètement comme ça. Je sais pas trop d’où ça vient mais ce qui est sûr c’est que ça vient d’Afrique. Je voulais réunir ma passion pour le blues et la musique malienne. Pour moi c’est du vrai blues, avec de l’électro derrière.
- Ce visage sculpté par l’artiste Gregoss en couverture est devenu l’emblème de l’album…
C’est sa création, mais en même temps c’est une manière d’être là sans être là. Comme je ne suis pas doué avec les caméras, je préfère avoir un masque.
- Tu pars en tournée le 6 novembre autour de l’Europe et ensuite?
Pour l’instant on en est là. On va partir aux Etats-Unis en mars/avril, puis, autour de décembre/janvier, on part en Australie et au Japon. On va également faire l’Amérique du Sud, qu’on n’a pas faite à l’époque de Tourist.
- Aujourd’hui, St Germain sur scène, ça ressemble à quoi?
Pour résumer, je suis un peu chef d’orchestre. Je dirige les musiciens dans les ambiances pour structurer les morceaux. Je serai aux machines et au mix. On est huit sur scène, avec différents instruments; un chora, un enguni, une guitare, une basse, un percussionniste, pianiste, saxo/flute et moi au milieu de tout ça.
- Pour finir, comment tu te vois dans le futur?
Je me vois vieillir (rire). Oulah, elle est dure ta question. Je pense que je vais prendre du plaisir à être sur scène. Pour une fois. Avant c’était plus dur, ce n’était pas ma culture, ma formation. Je faisais de la musique en studio. J’aimais produire, mais la scène n’était pas mon truc. Je suis plutôt casanier, solitaire, timide. Donc quand il a fallu que j’aille sur scène les premières fois, c’était compliqué. Disons que quand je n’y étais pas, ça ne me manquait pas. Mais là j’ai vraiment envie. Il y aussi un nouveau challenge, je dois à la fois convaincre et en même temps j’ai vraiment envie de faire découvrir ça aux gens. J’ai vraiment halluciné sur la technique et le jeu de ces musiciens. C’est déjà très agréable à écouter mais de les voir jouer c’est pas pareil. Rien que le guitariste, pour moi c’est un pur bonheur, sans médiateur, juste avec les doigts, il caresse les cordes, c’est un truc de fou. Si on aime l’album, on aime les concerts.