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David Brognon & Stéphanie Rollin, bouger les lignes

Texte Godefroy Gordet
Photos Romain Gamba

L’art pour Stéphanie Rollin et David Brognon prend forme via deux approches différentes, tout en spontanéité et en rigueur. Sans expliquer qui amène quoi, ou plutôt «qui est qui», comme ils disent, c’est pourtant dans la complémentarité de ces différentes directions que le duo trouve sa force et son âme. Quand David développe une approche instinctive et s’amuse du processus de création, Stéphanie, elle, exalte l’objet par un abord poétique et surtout une vision théorique de l’oeuvre.

2Née au Luxembourg en 1980, StéIMG_9523phanie Rollin étudie à l’Ecole Européenne pour finaliser des études d’Art en Angleterre et en France. Elle travaille ensuite quatre années au MUDAM où elle rencontre David, qui est alors régisseur de la collection le jour et street artist la nuit. Dès 2009, alors que David sévit sous le nom de The Plug et Stéphanie bosse sur son projet Super-ette (production de mobilier), les deux créateurs s’associent pour signer toutes leurs pièces ensemble. Et voilà deux ans que leur activité artistique se situe exclusivement autour de leur prolifique duo. Un travail qu’ils décrivent comme un «Art Conceptuel Humaniste. L’être humain est toujours l’unité de mesure de notre travail».

Manipulateurs du matériau sociétal, souvent celui qu’on marginalise, les œuvres des deux artistes se complaisent dans les thématiques de l’enfermement, des limites, en bref; de ces lignes qu’il faudrait bousculer. Autour de pièces minimalistes, leur travail prend forme dans un contraste entre matériel et immatériel, comme si, tout n’était pas dit. Multi-référencé, et toujours porteur d’un double sens cinglant, le travail des duettistes dépeint l’ambigüité de certains contextes, et certaines situations, ceux-là même qui mettent en tension l’individu face aux conventions sociales.

Dans la conception de leurs pièces, l’idée vient avant le geste, «la production d’une pièce part toujours d’une analyse. Le médium s’impose de lui-même, nous enlevons tout ce qui est inutile». Des travaux généralement très épurés, minimalistes d’un point de vue formel et suivant la ligne de l’Art Immatériel défendu par Marina Abramovic. Des approches qui les touchent, comme «l’Art de la performance qui laisse souvent peu d’objets derrière lui (photographies, textes, vidéos), les observations des comportements et le traitement par des actions simples ou ironiques de Francis Alÿs».

Ce qui prime dans leur travail, vient de sortes d’obsession autour de l’exclusion, du temps et des systèmes d’enfermement (physiques ou mentaux), «que nous traitons plus par des chuchotements et des étincelles que par des cris». Leur matière première sont les comportements sociaux, qu’ils soulignent dans leurs projets artistiques notamment par les regards de la société vis-à-vis des marges, «cette ligne de démarcation, cette frontière mouvante que nous installons tous tranquillement entre nous et les autres». Des thématiques très fortes qui se traduisent dans nombre de leur pièce, comme dans 8 m² Loneliness (A130) (2012-2013) où ils analysent et définissent les relations temps et espace par le biais de cet endroit clos et limité qu’est une cellule de prison de 8 m². Dans cette installation, récompensée du Prix Pirelli de la foire d’Art de Brussels en 2013, résonne les piliers de leur démarche, «L’œuvre installe le spectateur dans une cellule où le temps est suspendu, à l’aide d’un capteur intégré, l’horloge s’arrête lorsque vous êtes face à elle et rattrape le temps lorsque vous quittez le pièce.

Fidèle à leur ligne, les deux artistes travaillent tels des chercheurs autour de sujets liés à la société. Ainsi s’inscrira Sleeping in a City That Never Wakes Up, leur premier solo show en France au FRAC Poitou-Charentes d’Angoulême en 2014. Une exposition soutenue par Alex Reding et initiée avec la confiance du directeur Alexandre Bohn, durant laquelle les plasticiens se sont vus confiés le musée dans sa totalité pendant 6 mois. «Pour cette exposition nous avons choisi de plonger le FRAC dans la pénombre afin de projeter une vidéo dans la salle principale. Les néons de lignes de destinées de toxicomanes «Fate will Tear Us Apart», 2011, étaient eux cachés derrière des paravents dans une petite salle. Une gouttière de 12 mètres de haut laissait apparaître en reflet une minuscule phrase de Rainer Maria Rilke à ses pieds». Un moment charnière dans le parcours des deux jeunes artistes qui se suivit logiquement par de nombreux ambitieux projets.

Un peu à l’image de la Biennale 5 de Thessaloniki, dirigée par Katerina Gregos, qui semble avoir motivé les deux amis à s’immiscer plus encore à l’international, «Retardée d’un mois, débutant fin juin, en pleine crise du «Grexit ?», cette Biennale a failli être annulée en raison du gel temporaire des budgets. Mais nous nous tenions prêts».

Peu après, suivant leur succès lattant, le duo s’envole pour Paris. Du 15 septembre au 31 octobre dernier, ils y soutiennent Cosmographia (Île de Gorée), une pièce présentée durant l’exposition L’ordre des Lucioles, en relation avec le 17ème prix de la Fondation d’entreprise Ricard à Paris. «Être finalistes de ce pribbbx prestigieux et le fait que Cosmographia (Ile de Gorée) soit montrée dans ce contexte est une énorme fierté». Choisie par le commissaire Marc-Olivier Wahler, cette pièce leur permet d’accéder à un autre palier et de faire des rencontres auxquelles ils n’avaient pas accès avant l’exposition, «Cosmographia initie une série dédiée à l’imaginaire contradictoire de l’île comme lieu de mise à l’écart». Lieu de désolation coupé des hommes, l’île est à l’origine un territoire prison ou décharge, «L’île de Gorée est le symbole de la marchandisation et de l’emprisonnement de l’homme par l’homme, elle abrite la Maison des Esclaves». Pendant plus de 6 jours, centimètre par centimètre, ils ont décalqué à échelle 1:1 les 2,4 km du contour de l’île sénégalaise, «Mise sous enveloppe et envoyée à Bruxelles à la Galerie Baronian, nous avons remis sous scellé cette somme de 3066 fragments géographiques dans une étagère en inox».

Plus tard, pour l’exposition Les Mondes Inverses, qui inaugure le B.P.S22 ArtCenter de Charleroi, ils réalisent une vidéo à Jérusalem, «Tournée en juin dans l’école franciscaine Terra Sancta de la vieille ville de Jérusalem, intitulée The Agreement». Un film qui met en scène un authentique terrain de football aux proportions manifestement fausses, adapté à la géographie distendue de l’espace disponible, où les règles de perspective et de parallélisme sont trahies pour s’adapter à la réalité, «Nous avons travaillé avec des élèves de l’école pour tenter de remesurer ces lignes et trouver un rond central qui soit un compromis». Un projet dont la genèse et le cheminement force un certain respect face à l’opiniâtreté des deux artistes, «C’était une aventure incroyable. Nous repartons bientôt à Jérusalem pour tourner un autre film The Attempt; une performance monumentale impliquant des milliers de personnes».

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Une belle ascension en quelques expositions, pour ces Luxembourgeois, qui, il n’y a pas si longtemps, débutaient leurs pérégrinations artistiques. L’un des duos les plus prometteurs de la scène artistique contemporaine luxembourgeoise, qui construit en lui, des désirs profondément humanistes, propres à tous créateurs, «Naïvement, notre grand désir est que notre travail puisse faire bouger quelques lignes. On est décidément obsédés par les lignes».

EXPOSITIONS RECENTES

  • L’ORDRE DES LUCIOLES |Prix Fondation Entreprise Ricard | Paris (FR)

15 Sept. – 31 Oct. 2015

  • LES MONDES INVERSES | réouverture du B.P.S.22 | Charleroi (B)

25 Septembre 2015 – 31 janvier 2016