Comment les marques ont récupéré la cause féministe ?
Afficher ses convictions sur un t-shirt, une bonne idée ? Pas forcément, selon Léa Lejeune, journaliste et auteure de “féminisme washing” qui dénonce la récupération des marques dont les pratiques internes ne reflètent pas leur discours engagé pour la cause féminine.
“Girl Power”, “Proud to be a woman”, “Girl can do anything”. A l’heure où il n’a jamais été aussi facile d’afficher ses opinions en faveur des droits des femmes, notamment sur son t-shirt, la journaliste à Challenge Léa Lejeune, dénonce une récupération des marques de la cause féministe. Celle qui est également présidente de l’association Prenons la Une pour une meilleure représentation des femmes dans les médias, a publié un livre enquête sur les dessous de la récupération des valeurs féministes par les marques. Cosmétique, mode, grande distribution ou presse féminine, l’auteure passe au crible l’utilisation des arguments féministes chez les marques.
Dans son ouvrage “Féminisme Washing” aux éditions du Seuil, sorti le 4 mars dernier, elle dévoile les dessous de la récupération féministe par les marques, et comment les arguments en faveur des femmes sont devenus une manne financière, notamment dans l’univers de la mode et du maquillage. Cette récupération au service du profit est, selon l’auteure, dangereuse, dans la mesure où les intérêts des entreprises sont parfois en complète contradiction avec leur discours publicitaire ou médiatique.
“Féminisme washing”, de quoi parle-t-on ?
Le terme “féminisme washing” s’inspire de son prédécesseur le greenwashing. Cette technique de marketing et de stratégie de communication vise l’utilisation fallacieuse de bonnes pratiques écologiques dans le but d’attirer des clients. Les marques de voiture, principalement, ont été pointées du doigt pour avoir “verdi” leur communication. Pour Léa Lejeune, la mécanique du “féminisme washing” est similaire, exception faite qu’il s’agit cette fois, non pas de passer un coup de vert, mais de “rose” sur sa communication ou son marketing lorsque l’on est une marque. Le but ? Faire vendre, alors que, selon l’auteure “l’entreprise en question n’agit pas réellement pour l’égalité”. Et “les entreprises qui s’efforcent de redorer leur image sur le dos d’une des valeurs pivot de la société contemporaine” prône “un féminisme de façade”. Léa Lejeune alerte sur les “effets pervers” de telles pratiques. “[Les entreprises] peuvent par exemple vendre des produits fabriqués au prix de la souffrance de nombreuses femmes à celles qui pensent justement les défendre.”
Gare aux inégalités salariales dans la mode
Alors que le t-shirt à message – “Girl Power” – a envahi les podiums des grandes marques de luxe, chez Dior par exemple, cet engouement affiché pour le pouvoir des femmes, ne se reflète pas au sein même de l’entreprise. Le groupe LVMH, par exemple – auquel Dior appartient – ne comptait que trois dirigeantes femmes (Céline, Kenzo et Thomas Pink), avant l’arrivée de Maria Grazia Chiuri à la tête de Dior, en 2017. Au global, rappelle l’auteure, “sur 371 patrons de marques comptabilisés par la dernière étude du site Business of Fashion lors de quatre fashions week printemps-été 2017, seuls 40,2% étaient des femmes”. Et, toujours selon la même étude, parmi les 50 marques les plus influentes de la mode, seules 14% étaient conduites par une femme. De quoi laisser le slogan du t-shirt au panier.
L’injonction paradoxale des marques de cosmétiques
La mode n’est pas la seule visée par l’enquête. Les marques de maquillage par exemple : “un maquillage, même sain pour la peau et fabriqué par des salariés correctement payés et promus, reste un outil destiné à coller aux normes de la beauté de la société à un instant T. Ces produits ne peuvent pas devenir féministes ‘en soi’. S’ils contribuaient réellement à réduire les injonctions de la beauté féminine, ils se tireraient une balle dans le pied en réduisant la taille de leur marché. Une logique féministe jusqu’au-boutiste conduirait à les faire disparaître progressivement.
Le cas L’Oréal
Pour autant, le tableau n’est pas noir à 100%. De nombreuses entreprises, même dans le milieu des cosmétiques font de véritables efforts pour réduire les inégalités en leur propre sein. L’Oréal par exemple. Cette marque qui, du propre aveu de Jean-Claude Legrand, directeur général des ressources humaines du groupe L’Oréal, était “du maquillage fait par des hommes pour des femmes” travaille depuis de nombreuses années à l’égalité salariale. Depuis l’arrivée de celui qui siège également au Haut Conseil à l’égalité (HCE), une instance indépendante chargée d’évaluer les mesures en faveur du droit des femmes et de faire des propositions au gouvernement, les écarts de salaires et d’équilibre ont été repérés, et mesurés en prenant en compte le sexe, l’âge, l’ancienneté, et l’évolution des rémunérations. En 2007, alors que les femmes étaient payées en moyenne 19% de moins que leurs collègues, l’écart s’est aujourd’hui réduit à 3,9%.
Les efforts se font sentir certes. Mais la route reste longue.