Feyrouz Ashoura
Photo Romain Gamba
Nous vous parlions d’elle dans le précédent numéro. Nous avons voulu en apprendre un peu plus sur la styliste et couturière Feyrouz Ashoura, sur son background culturel et son approche esthétique, afin de mieux cerner ses travaux avant-gardistes, à mi-chemin entre haute couture et sculpture vestimentaire.
Parlez-nous un peu de vous et de votre parcours, pour que nos lecteurs apprennent à vous connaître.
Je suis née et j’ai grandi au Grand-Duché du Luxembourg, entre les cultures européenne et saharienne. J’ai toujours eu une passion artistique; j’aimais beaucoup le dessin, la musique et utiliser mes mains pour créer toutes sortes de choses. Malgré un cursus scolaire très académique, notamment avec du latin et des sciences, j’ai commencé à dessiner sur des casquettes ou des sneakers et je les ai vendues à mes amis et leur entourage sur commande. Je suppose que ça a été mon premier pas dans le domaine de la mode ou du commerce, pourtant inconscient.
C’est plus tard que j’ai été confrontée au fait que la mode peut être étudiée et qu’il existe pleins de débouchées, tout à fait réalistes. Suite à quoi j’ai fait mes études à Paris dans l’École Supérieure de la Mode, qui, faisant part d’un réseau international, m’a permis de faire un mois d’échange à leur école à Tokyo. En 2011, pour mon diplôme en spécialisation ‘Nouvelle Couture Luxe’, mes tenues ont fait le final du grand défilé des 170 ans de l’école. Après cela j’ai fait mon stage aux Pays-Bas chez Iris Van Herpen, suivant lequel je suis partie à Doubaï pendant 2 ans où j’ai appris tout le côté ‘business’ de l’industrie de la mode. J’ai été chasseuse de talents pour un concept store dans lequel j’ai gagné toute mon expérience entreprenariale.
L’été 2014, j’ai décidé de revenir au pays pour me consacrer à la création de ma propre ligne de couture. Depuis un an, j’ai mon ‘laboratoire’ au 1535 à Differdange, et y développe mes créations.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans la mode ?
la création! Au moment où j’ai décidé de prendre cette voie, je n’étais pas du tout une suiveuse de mode, ironiquement. Au contraire je n’y voyais pas trop d’intêret à vrai dire. Mais c’est le côté créatif que je trouvais excitant.
Créer la mode, pas la suivre. Être à la source, à l’essence de la création. Être à l’origine des tendances vestimentaires, non pas y obéir. Etre l’innovation au lieu de la fashion victime.
Quels ont été les créateurs qui ont influencés votre style ?
Je suis une nostalgique des couturiers et créateurs d’antant; Thierry Mugler, Paco rabbane, Hubert de Givenchy, Cristobal Balenciaga, Coco Chanel, Schiaparelli, Jacques Fath entre-autres.
Comment percevez-vous le monde de la mode ?
Comment perçois-je le monde de la mode.. Question très subtile..
Ayant une relation passionelle allant de l’amour à la haine envers la mode, j’oserai dire que la mode m’est tombée dessus. C’est quelque chose qui fait partie de moi maintenant. Dès le début j’étais tout à fait consciente du chemin et ses ‘sacrifices’ que cela engendrerait. Pourtant, demandez à n’importe quel artiste, il ne pourra jamais se passer de sa destinée, malgré sa souffrance créative. C’est plus fort que nous.
Ce qui me rend triste c’est la dépravation de sens que l’on trouve dans la mode aujourd’hui. La créativité n’est plus reine, ni le noyau de la conception d’une collection. C’est une des raisons pourquoi les créateurs d’avant me font plus vibrer que n’importe qui aujourd’hui. Ces couturiers-là étaient des génies, de vrais avant-gardistes, non-conformistes et innovateurs; ils avaient parfaitement identifié les maux des époques, les soucis de la population, tranchant les débats controversés, les défauts ou lacunes de la sociéte et réussi à les traduire dans des œuvres gracieuses et intemporelles. La mode avait toujours son mot à dire dans le développement d’une sociéte, tel de l’art, s’exprimant par rapport un sujet de quelconque envergure.
Leurs créations défiaient toujours le statut de la femme, son influence dans la sociéte et l’impact qu’un code vestimentaire pouvait engendrer au niveau culturel, socio-politique ou éthique… Aujourd’hui j’ai vraiment l’impression que la seule chose qui est identifiée à raison de l’exploiter dans la société est sa surconsommation et son conformisme.
Pouvez-vous nous parler du processus de création d’un vêtement ?
À vrai dire, il y a plusieurs façon de conception; chaque créateur à sa propre chronologie.
Bien que le cursus a l’habitude de nous apprendre de d’abord envisionner l’idée et ensuite fabriquer le vêtement à son image, où l’on part du croquis et le reproduit en matière, on ne peut jamais en tirer une règle générale.
Pour ma part, je l’ai remarqué quand mes croquis sont devenus de plus en plus flou, et il semblait manquer une étape entre l’idée sur papier et l’habit fini. C’est celui de l’experimentation.
En effet, c’est ce dont je m’occupe le plus; la recherche, l’expérimentation que je fais dans mon ‘laboratoire’. J’ai un amour obsessionnel pour la matière et la texture; c’est pourquoi il est impératif pour moi, dans la mesure du possible, de concevoir le vêtement de par son ADN près; sa composition première. Je m’amuse à détourner des matériaux à premiers abords insolites, ou faire des combinaisons ou superpositions de matières différentes afin d’obtenir une surface unique et hors du commun; comme la naissance d’une nouvelle espèce.
Je pars ensuite de là pour élaborer le reste du vêtement; forme, couleur, tissus etc et le construis à partir de mon inspiration de base. C’est pourquoi je refère à la ‘sculpture’ de vêtements; je crée la matière en fonction du corps humain de sorte à la rendre extension de ce-dernier. Pour cela, il me faut de travailler directement à même le corps, en l’occurence, le mannequin. C’est mon support, un peu comme une toile blanche, sur laquelle je vais orner le corps d’après l’idée que j’ai à ce moment-là.
Quelle différence faites-vous entre la haute couture et la sculpture vestimentaire ?
la haute couture et la sculpture vestimentaire ont le même concept; créer à la mesure du corps qu’elle doit habiller.
La ‘haute couture’, par contre, est une appellation juridiquement protégée depuis 1945 par la Chambre syndicale de la couture, ce que beaucoup de gens semblent oublier ou même ignorer.
En fait, les maisons de coutures doivent répondre à des critères bien précis concernant l’entreprise; il ne s’agit pas seulement du travail à la main, mais également du nombre d’ateliers, d’employés, du minimum de 25 tenues par défilé jusqu’à même l’utilisation d’une certaine surface de tissu.
En parlant de sculpture vestimentaire, j’envisage plus d’espace libre dans ce domaine. Cela se concentre plus sur la création, et non la commercialisation.
L’artisanat dans les deux est cruciale; elle forme un pillier majeur dans la création des vêtements. En parlant de sculpture par contre, j’aime laisser à imaginer que l’on peut sortir du textile; en utilisant des matériaux communément non-portables, tels que le métal, le plastique ou toute autre matière créée à l’aide de nouvelles technologies.
Pour ma part, j’ai inventé ce terme en voulant me distancier des catégories toutes-faites. J’ai du mal en général à me ranger dans une file; j’aime beaucoup explorer toutes les possibilités. C’est pourquoi en faisant de la sculpture vestimentale, on peut aussi sortir mes créations du concept du vêtement, en les contemplant en tant qu’objet en soi; comme un objet d’art, qui peut habiller une pièce tout comme une femme.
Quels sont vos derniers coups de cœur artistique ?
Récemment, j’ai remis les pieds dans ma culture; l’art arabe dans toutes ses formes. Ce qui m’a amené à faire beaucoup de recherches, sur l’Histoire, la symbolique et le concept de l’esthétique. La présence divine dans ce contexte m’a fait comprendre l’universalité de l’art; notamment la géométrie sacrale et la perfection de la nature en soi.
Quelles sont les motivations qui vous permettent de créer ?
Je crée pour guérir mon âme. C’est une quête spirituelle interminable.
Des projets à venir ?
Je travaille sur ma première capsule, qui va faire l’objet d’un fashion film et une installation. Je ne peux pas en dire plus encore, mais quelques de collaborations sont en vue aussi niveau artistique.
Un rêve qui n’a pas encore été réalisé ?
Faire la curation de la premiere exposition de haute-couture au Luxembourg