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Peter Hook and the Light : interview d’une lumière dans la nuit

Par : Thibaut André & Carl Neyroud / Photos : Deadly Sexy Carl

Avec Peter and the Light se produisant à l’Arche de Villerupt ce vendredi 24 novembre prochain, nos experts live Carl et Thib ne pouvaient pas passer à côté de l’occasion de taper la causette avec le patron du groupe, à savoir Mr. Peter Hook himself. Du haut de ses 67 printemps, le fringant bassiste de la légende Joy Division (1976-1980) et de New Order, affiche une forme détonante et s’est agréablement prêté au jeu de l’interview.

Si le répertoire de son groupe actuel rend exclusivement hommage aux chefs-d’œuvre musicaux auxquels Peter Hook a contribué en matière de composition et en apporte aujourd’hui une version nouvelle avec des arrangements personnels comme son timbre de voix et la présence de deux basses sur certains morceaux. L’homme n’a toujours pas l’intention de déposer les armes et a traversé la crise du covid sans grand mal. Il nous livre sa vision des choses…

Bonjour, Peter. Très heureux de te parler ce jour. Peux-tu nous dire s’il y a eu des changements dans le line-up actuel ?

De manière assez étrange, il n’y a pas eu de grands changements dans le line-up. La seule perte à déplorer est celle de mon fils (NDLR : Jack Bates) qui a rejoint Billy Corgan et les Smashing Pumpkins à la basse pour une énorme tournée mondiale. C’est certainement l’épisode le plus triste, mais je peux toujours compter sur la guitare de David Potts avec qui j’ai formé Monaco dans le passé. Le batteur est Paul Kehoe qui a également officié dans Monaco. On a piqué le claviériste des Doves (NDLR : Martin Rebelski) et le bassiste de Coral (NDLR : Paul Duffy).

Y a-t-il quelque chose de nouveau dans le set actuel ?  

Il y a quelques changements ici et là. Récemment, j’ai réalisé que le groupe est une forme d’hommage aux chansons originales. Je dois admettre que j’ai entendu quelques tentatives de ce genre par New Order lorsqu’ils ont remixé des compositions, mais ça ne sonnait pas très bien à mon sens. Mon idée était de reprendre la musique que New Order n’a jamais vraiment jouée et que Joy Division ne pouvait plus jouer (NDLR : le chanteur Ian Curtis a mis fin à ses jours en 1980, la veille de partir en tournée américaine). Alors je m’efforce de coller le plus possible au son, aux idées et à l’atmosphère propres à chaque morceau auquel je peux dès lors rendre hommage. C’était comme une bombe pour moi. Je me souviens de ce merveilleux été passé à Los Angeles, pas pour nos relations interpersonnelles, qui n’ont jamais été au beau fixe, mais pour ces moments bénis pendant lesquels nous écrivions les chansons. Je me souviens toujours de cette période 1986-1987 et je ne veux pas que les gens n’entendent qu’un duplicata de ces chansons en version retravaillée. Je ne veux pas leur voler cette sensation incroyable que nous ressentions à cette époque. Maintenant, il y a des gens qui peuvent me reprocher ce côté un peu trop passéiste et mélancolique. Tu sais, les êtres humains sont faits de cette manière et je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas regarder le passé en face. Dès lors, c’est fantastique pour moi d’honorer ces chansons à nouveau de la manière dont elles sont venues au monde. Et c’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Je dois avouer que j’y prends beaucoup de plaisir parce que j’ai mis tout mon cœur dans les chansons de New Order pendant des années sans raison particulière. Je ne pouvais pas comprendre cette attitude et cette implication a l’époque. C’est seulement en 2010 lors de la formation de Peter and the Light qu’on a réalisé que le titre Age of Consent, qui est pourtant un morceau fabuleux, n’avait pas été joué depuis près de 30 ans !

Et je me suis dit : mais pourquoi ?! Pour certains, c’était un peu trop rock. C’est à ce moment que tu réalises à quel point les relations humaines peuvent parfois devenir ambiguës et même fracturées parce que les goûts évoluent et tendent à diverger, alors que mes goûts n’ont jamais vraiment changé. J’aime le nouveau matériel tout comme j’aime l’ancien. C’est juste que je n’aimais plus la relation entre les membres. Aussi, je suis super heureux de rendre hommage aux compositions avec un son et une interprétation à ma sauce. C’est d’autant plus important avec les compositions de Joy Division. C’est carrément impossible de sonner comme Joy Division. On peut essayer tant qu’on veut, mais on ne sonnera jamais plus comme ça. Ça passerait pour une étrange version. Le truc, c’est que lorsque je me suis pointé pour jouer, ce n’était pas pour essayer de sonner comme l’original, mais plutôt pour offrir une interprétation telle un hommage à l’album original.

Est-ce qu’on retrouvera Rowetta sur scène pour quelques titres lors de cette tournée ?  

Non, elle ne sera pas de la partie pour une question d’agenda malheureusement. Comme tu le sais, elle bosse avec les Happy Mondays pour l’instant (NDLR : un autre groupe-phare de la vague musicale mancunienne baptisée Madchester). Je dois néanmoins remercier Rowetta pour son incroyable contribution au groupe.  Lorsque je l’ai formée, elle était un choix parmi trois chanteurs potentiels, mais les trois avaient une peur bleue des réactions sur la toile. Alors Rowetta est venue à moi et m’a dit : « Hookie, si tu veux faire ça, tu vas devoir le faire toi-même. » Et je me suis dit : « M…! » Cela m’a fait comprendre que je devais faire quelque chose, c’est-à-dire prendre le micro, et j’ai engagé mon fils pour me soutenir sur les parties de basse. Il avait le même âge que j’avais à l’époque quand on enregistrait Unknown Pleasures avec Joy Division. Rowetta a été fantastique avec moi parque qu’elle m’a poussé à chanter et me concentrer sur les parties vocales, notamment celles de Ian Curtis. J’étais terrifié et, à vrai dire, je le suis toujours.

Tu sais, la nuit dernière, le fait de jouer Joy Division m’a fait comprendre que je contemple un trou béant rempli de toutes ces œuvres produites, avec en plus l’image de Ian Curtis qui remonte constamment à la surface. La profondeur de mes sentiments à l’égard de Joy Division m’aide à avancer. C’est une démarche très pure de ma part également. Je garde toujours cette image à l’esprit. Les gens partagent ce même sentiment au sujet de New Order, même si le groupe existe toujours, mais sous une forme « zombifiée ». Et puis ce groupe ne tient plus la route en raison des querelles et déboires juridiques, ce qui leur a ôté tout côté singulier. D’autre part, il y a une vibration différente, surtout en termes d’intensité, liée aux chansons de Joy Division et j’y suis très attentif. Je réalise que je dois travailler très dur pour tenter de m’en rapprocher respectueusement.

Tu te produiras avec ton groupe à l’Arche de Villerupt le 24 novembre prochain. Savais-tu pour la petite histoire qu’un guitariste alors inconnu du nom de Jimi Hendrix s’est produit en première partie de Johnny Hallyday à Villerupt en 1966 alors que les organisateurs n’avaient aucune idée de qui était ce jeune premier et prodige à la guitare. Quel est ton lien avec la France en tant que Britannique ? Tu as déjà tourné beaucoup en France ?

Oui, j’ai entendu parler de cette histoire avec Hendrix (rires) ! Notre premier concert à l’étranger avec Joy Division s’est déroulé en Belgique, au Plan K à Bruxelles plus exactement. On était très jeunes. Ensuite, on a rapidement enchainé une série de concerts dont un à Paris, aux Bains Douches. Être à Paris et donc en France était un sentiment merveilleux. Les premiers concerts qu’on a refaits après les restrictions liées au covid ont eu lieu en France lors de la reprise de la tournée. Et le public a été formidable soir après soir. Ce fut aussi une occasion pour moi de sortir à nouveau et de rendre hommage aux victimes des attentats du Bataclan. Ça comptait beaucoup pour moi ! Tu sais, le monde peut être un endroit terrifiant par moment et c’est très important pour nous de montrer du respect. J’étais très heureux de me produire sur la scène du Bataclan à cette fin. Cela étant, New Order a donné des concerts affreux en France dans le passé et ce ne fut que lors du départ de Gillian Gilbert qu’on a pu sortir des morceaux corrects parce que le son était soudainement très différent. On avait une relation houleuse au sein de New Order (rires)… C’était autre chose avec Joy Division. Heureusement, quand je regarde en arrière, j‘ai plutôt tendance à me remémorer les bons moments.   

En tant que musicien avec une très solide expérience, est-ce que tu penses qu’il est plus facile pour un artiste ou un groupe d’émerger de nos jours en comparaison avec les années 70 ou 80 au regard de l’internet et des réseaux sociaux et particulièrement vu l’état de l’industrie de la musique ?

Mon Dieu, je ne voudrais être dans un jeune artiste aujourd’hui ! C’est très difficile de nos jours. La compétition est très rude et cette compétition est devenue globale à cause de la toile et des plateformes. Dans les années 70, tu commençais par te construire une base locale de fans et cette base grandissait naturellement par la suite. Éventuellement, tu pouvais grandir progressivement et atteindre la renommée internationale à travers un travail acharné. Mais tu devais le faire par le travail ! De nos jours, ce modèle a implosé à cause de la toile, des réseaux sociaux et des plateformes. Ce n’est pas une démarche naturelle à mon avis. Les artistes se retrouvent brutalement propulsés dans des carrières et styles de vie auxquels ils ne sont pas préparés. Ils n’ont pas le temps de réaliser. Moi, j’y étais préparé en raison du temps que j’y ai passé (NDLR : on parle de plus de plus de 50 ans à ce jour). Mais, tu sais, assister à l’effondrement des ventes de disques m’a brisé le cœur et je n’arrive toujours pas à me faire à l’idée qu’on doive faire de la musique qu’on devrait offrir pour rien sur la toile et les plateformes. Il y a deux sortes de gens qui souffrent le plus de ce phénomène. D’abord, il y a les journalistes qui voient leur travail volé, repris, remixé et jeté en pâture sur les réseaux. Et puis, il y a les musiciens dont le travail peut être volé et repris partout, notamment sur des plateformes comme Spotify qui te reprennent abondamment, mais tu ne touches quasiment rien. Et tout cela rend le travail des jeunes artistes extrêmement difficile.  

Si tu devais créer un groupe à partir de rien aujourd’hui, tu t’y prendrais comment ?

Le dernier groupe que j’ai lancé à partir de rien, c’était The Light. Et ce fut difficile d’aller au fond des choses et de construire quelque chose ensemble. Regarde, il y a un groupe comme Joy Division qui s’est terminé si rapidement (NDLR : en 1980 après le suicide de son chanteur Ian Curtis). Quant à New Order, juste au moment où on est devenus célèbres, on a tout foiré. On s’est rabiboché ensuite pour finalement prendre des voies différentes (NDLR : Peter a quitté le groupe en 2006). Ensuite, il y a eu d’autres expériences musicales avec Electronic et Monaco, mais elles furent de courte durée. Au final, il y a The Light avec qui je joue toujours. De jeunes groupes naissent pendant que des vieux meurent et renaissent, mais j’y suis habitué. Je suis même accro à ce principe de devoir tout recommencer (rires). Ça te permet de rester humble, car cela te pose de nouveaux défis à relever, notamment vis-à-vis de ton audience. Si le public n’existait pas, je ne serais pas en train de te parler en ce moment. Du moins, je serais face à la question qui nous conditionne tous, à savoir : qu’est-ce que je dois faire ? Cela m’a offert l’opportunité de réaliser que ma chance de continuer à jouer consistait à honorer la mémoire de Joy Division, et les meilleures personnes qui m’ont permis de faire cela au départ étaient les membres de Joy Division eux-mêmes. C’est de la même manière que je tiens à honorer New Order également en jouant les anciens morceaux, mais avec plus d’intensité pour les fans de la première heure comme pour les nouveaux venus qui ne connaissent pas nécessairement les vieux trucs. C’est exactement ici que je veux être et j’y suis ! J’attends avec impatience l’année prochaine. Ma première ambition est de jouer chaque chanson de Joy Division que j’ai co-écrite et enregistrée. Mon ambition suivante est de jouer chaque chanson de New Order à laquelle j’ai participé. Donc, soyez prêts à prendre ça sous peu ! De mon côté, j’attends le chant des sirènes avant de me lancer (rires). 

Pendant la pandémie vers la fin mai 2020, vous vous êtes produits lors du Salford Music Festival, mais en édition retransmise en ligne en raison de l’obligation de maintenir la distance sociale, les musiciens devant d’ailleurs jouer à distance en portant des casques adéquats. Au tout début du set, j’ai été surpris et amusé de te voir sortir d’une toilette chimique et entamer Love Will Tear Us Apart en version très intimiste, une manière très inhabituelle de monter sur scène pour un titre, lui, très approprié en raison des personnes disparues pendant la pandémie. Y avait-il un message spécifique derrière cette mise en scène ou alors c’était juste de l’humour mancunien ?

(Gros éclats de rire) C’était une blague en fait parce qu’on était à Salford (NDLR : la banlieue mancunienne dont Peter est issu) et je ne pouvais pas m’empêcher de me comporter différemment par rapport aux autres festivals pour l’occasion ! Comme tu le sais, un des trucs les plus frappants dans un festival, ce sont les toilettes chimiques ! Ça te rappelle des souvenirs d’anciens festivals et les bons moments que tu y as passés. Et par malchance, j’ai dû louer une cabine de toilette et la faire poser dans mon jardin pendant le confinement à cause d’un problème de plomberie. Alors au lieu de monter sur un podium, j’ai pensé que sortir nonchalamment d’une toilette chimique, ça le ferait. C’est un bon résumé de la philosophie de ce festival. On doit tous affronter des batailles pour jouer ou entendre la musique qu’on aime, non ? (rires)

Tu souhaites ajouter quelque chose ?

Merci pour l’intérêt que vous portez au groupe. Au revoir, mon ami ! (NDLR : en français lors de l‘interview). On se croise à Villerupt le 24 novembre.

Merci beaucoup pour cette interview, Peter ! Au revoir et à la semaine prochaine !  

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