Sur les Traces de l’Urban Art eschois
En près de dix ans, le projet Kufa’s Urban Art Esch colore les territoires de la capitale du sud, valorise ses espaces oubliés et favorise les rencontres transfrontalières. Afin d’inscrire ce véritable patrimoine culturel et social dans la longévité et que les générations à venir puissent en profiter elles aussi, la Kulturfabrik et la Ville d’Esch se sont associées à l’éditrice Anna Valentiny pour publier un superbe ouvrage rétrospectif, qui devrait faire partie des lectures estivales de toutes et tous : Traces.
En 2014, la Kulturfabrik décide d’embellir ses lieux. On végétalise la cour, on ravale les façades et progressivement, naturellement, sans prétention, naît l’idée d’un projet d’art urbain. Sept ans plus tard, le projet compte non seulement à son actif plus de soixante-dix œuvres d’art urbain en Grande Région, dont 55 à Esch-sur-Alzette ; mais le Kufa’s Urban Art Esch a été le cadre également de près de 60 projets pédagogiques qui ont rassemblé quelque 1500 personnes au fil des saisons…
Aujourd’hui le projet Kufa’s Urban Art Esch a pris fin mais, au-delà de toutes les peintures murales, un objet restera : l’ouvrage « Traces – Kufa’s Urban Art Esch » restera en effet le reflet de toutes ces expériences enrichissantes vécues par le centre culturel phare des Terres Rouges, son public, ses amis et les habitants de la ville. Au-delà d’une simple rétrospective, la parole a été donnée à des spécialistes – chacun dans son domaine – pour donner un éclairage différent sur les réalisations, tout en prenant en compte l’espace public et ses enjeux, l’architecture du territoire, l’histoire de l’art urbain et l’expérience authentique d’une œuvre créée de manière participative avec la population. Un très beau livre collaboratif, coordonné par Herrade Fousse pour la Kufa, édité par Anna Valentiny pour Point Nemo, avec une conception graphique confiée au très chouette Studio Polenta – dont on retrouve la patte à la fois très actuelle et intemporelle au fil des 324 pages – et présenté à la fin avril à la Kufa, en parallèle du vernissage de l’exposition de photographies réalisées par Emile Hengen et John Oesch.
Herrade – pour laquelle il s’agissait d’une première éditoriale de cette ampleur – se confie : « Faire un livre est une expérience très enrichissante à différents points de vue. Cet ouvrage m’a fait découvrir le monde de l’édition, la chaîne du livre et ses différents maillons, de l’idée première à la conception, jusqu’à l’impression et la distribution… Une totale confiance et une communication régulière avec la maison d’édition sont absolument nécessaires. Nous voulions réaliser cet ouvrage avec des partenaires qui partagent nos visions et engagements. Nous n’avions pas la prétention de réaliser un ouvrage d’art mais voulions à tout prix garder et valoriser la dimension humaine du projet. Pour cela, il nous fallait des partenaires qui nous ressemblent. La collaboration avec Point Nemo Publishing et Studio Polenta s’est faite naturellement, en toute sérénité… »
Traces se divise en trois chapitres : Zoom, Projets et Éducation, chacun étant accompagné d’un essai écrit et richement illustré. « Esch-Catatonique : Erratic Chronicles of Urban Art Mythology » de l’architecte Philippe Nathan présente le développement urbain, architectural et social d’Esch-sur-Alzette, à travers la croissance et le déclin de l’industrie sidérurgique luxembourgeoise, et offre une perspective sur les défis et les potentiels futurs de la ville. Les Autrichiens Fabian Sever et Anna-Maria Tupy développent quant à eux ensuite leur expertise en matière de restauration et d’histoire de l’art à travers un article intitulé « Art from Above – Art from Below : Aspects de la décoration murale à travers les millénaires ». Enfin, Thomas Cauvin, de l’Université du Luxembourg, présente « Entre art, histoire et mémoire : ArtisEsch, un projet participatif public » dans le dernier chapitre, consacré à la pédagogie du projet.
Sur le plan visuel, le livre est composé presque exclusivement de nouveaux documents photographiques. Les photographes John Oesch (Drone Vision) et Emile Hengen ont revisité une sélection de projets artistiques dans l’espace public. Certaines œuvres du projet ont ainsi été photographiées à l’aide d’un drone, ce qui a permis d’obtenir des perspectives totalement nouvelles. Différents facteurs de zoom permettent en l’occurrence de montrer les murs peints dans leur contexte urbain, du simple bâtiment à l’îlot, à la rue, au quartier et enfin à l’échelle de la ville. Des perspectives nouvelles, inconnues et familières sont mises en scène et juxtaposées, soulevant à nouveau les questions de l’espace public et privé ou encore de la dimension éphémère des peintures murales dans un paysage urbain en constante évolution, comme l’est typiquement celui d’Esch-sur-Alzette à l’heure actuelle et pour les années à venir…
« Interdiction d’être bordélique ! Nous avons passé des jours entiers à trier et compiler des milliers et milliers de photos. Les premières années, nous ne pensions pas que le projet allait prendre cette ampleur et n’avions pas conscience qu’il aurait été nécessaire de documenter de manière professionnelle la moindre activité ou intervention artistique. Nous faisions les photos avec nos iPhones, et 2-3 filtres plus tard, nous nous sommes retrouvés avec des photos de 200ko simplement inexploitables ! », confie la cheffe du projet.
Ainsi, parmi les différents projets présentés de manière très juste dans l’ouvrage, des fresques monumentales disséminées à Esch mais aussi dans d’autres villes du pays et de l’autre côté des frontières luxembourgeoises, à Villerupt, à Trèves, à Libramont ou à Longwy, avec les travaux notamment des artistes Mantra, Raphael Gindt, Anyway Studio, Love ou encore Dulk . Mais aussi des œuvres plus discrètes, à l’instar du projet du street artist bruxellois Jaune réalisé en 2021 à la gare d’Esch avec la complicité du personnel ferroviaire, mais qui font désormais indéniablement partie du décor urbain eschois. Traces en dévoile toute une partie, avec les travaux de Cheko’s Art, collaborateur de la première heure du Kufa’s Urban Art et dont la fresque Thierry van Werveke orne l’entrée de la grande salle de concert de la Kulturfabrik ; le Luna Park de David Soner réalisé dans la cour de la Schoul Aérodrome ; l’œuvre Temple de Lisa Julius qui donne à présent une tout autre dimension au Kiosque du Gaalgebierg ; ou encore la Ligne d’eau de Pantónio qui habille les murs de la gare d’Esch et qui utilise notamment la couleur brun-ocre « Minett » pour les contours des représentations aquatiques…
Il n’est plus à prouver que le street art fait partie intrinsèquement de l’identité des villes luxembourgeoises, et le Kufa’s Urban Art a été sans conteste l’un des catalyseurs de l’accès à ce statut. Il a transformé Esch-sur-Alzette de manière significative, dans un mélange coloré et créatif d’Histoire et d’avenir. C’est cela que l’on retrouve dans Traces, qui mérite bien sa place dans toutes nos bibliothèques.
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