Valérie Sztor se raconte par Fragments, chez Bagatelle ce jeudi…
Valérie Sztor a concrétisé le rêve de toute une multitude de mauvais rédacteurs, moi en tête de lice : celui d’écrire, et surtout de publier, son premier roman. Et un très bon roman de surcroît. Dans Fragments, la prof d’arts appliqués nous convie à revivre les années 90, les premiers flirts, les premières expériences, la drague, le tout avec la bande son qui va avec. Le voyage démarre tout de suite, maintenant, avec son interview et continue lors d’une séance de dédicaces ce jeudi 22 février, à partir de 18 h, au shop Bagatelle de Luxembourg. Entretien avec une gamine des nineties…
L’héroïne de ce roman, c’est toi ? Tout est vrai ?
Au départ, pas intentionnellement, puis au fil des lignes, de l’écriture, certains fragments de mon passé se sont glissés, imposés. Aujourd’hui, je dirais plutôt que l’héroïne et moi, on se ressemble. Son rapport aux autres, à l’art, sa sensibilité, ses flottements. Peut-être ce que j’ai un jour été. Et, en relisant ça, je me dis, oui, au fond, elle et moi, on est pareilles. C’est mon premier roman, je n’ai pas réussi à faire autrement que sincère, c’est ce qui m’a porté. Il y a donc du vrai dans certains passages, bruts, non édulcorés. D’autres, plus subtils, dissimulés, sortis d’un contexte, quelques détails arrangés, des personnages associés, d’autres lieux. Des moments qui auraient pu se poursuivre. Imaginer ce qui aurait pu être. Et m’amuser à noyer le tout avec ce que je suis maintenant, à la lumière du présent. C’est ce qui me plaît dans l’écriture. Garder ce que l’on peut, ce que l’on a bien voulu, ce qu’il en reste. Et jouer avec l’ensemble, des superpositions, des transparences, des coulures.
Elle est née comment, cette envie d’écrire ?
Il y a toujours eu des textes qui accompagnaient mes toiles, des carnets de croquis, des mots griffonnés. Un ancien mémoire qui à l’époque devait être publié où j’évoquais déjà une manière d’aborder le passé. Proposition à laquelle je n’avais pas donné suite, jeune, pas envie. Je ne me sentais pas légitime dans l’exercice. La peinture, mon mode d’expression alors, était encore omniprésente. J’ai eu ensuite un lieu pour créer, plus tard un atelier et un jour, je n’ai plus eu d’endroit. Un espace de vie non adapté et le choix de ne pas négliger une vie de famille. Ça prend du temps, ça emporte la création. Je pouvais passer des nuits à peindre. Et avec un gamin, difficile de tout concilier. Alors sans lieu, compliqué de sortir mon matériel, les grandes toiles, les acryliques, les glycéros au milieu du salon ou de la cuisine. Surtout si la personne avec qui tu vis est plus ou moins maniaque. Si ton fils est allergique. Et puis, tu te rends compte que tes possibilités d’expression se résument à quelques jours dans l’année si on te laisse le temps, le plus souvent les mois d’été, à l’extérieur. Ce sont donc les carnets de croquis qui ont remplacé les toiles. Pratiques, ils se transportaient partout, au lycée, en vacances et peu à peu, ils se sont remplis de mots, plus que d’essais de matière. Et un jour, je n’ai eu envie que des mots. Les lignes colorées perdaient leur sens. Je prenais davantage de plaisir avec l’écriture.
C’était un besoin de partager ton histoire ?
Probablement… Je ne m’en suis pas rendu compte. En revanche, je crois que ce que je désirais vraiment évoquer le deuil – celui d’un père – et la relation père-fille. Notre histoire. L’enfance. Un peu de la sienne. La partager. Mais pas trop… À son image, comme une ligne qui se trace, pudique, douce, qui se donne par éclats. À ceux qui voudront bien voir. Une ombre. Le « vrai » du roman.
Parle-moi de ton style ?
Difficile de se définir. C’est un premier roman. Le deuxième le confirmera peut-être. Mais, je dirais, emporté, saccadé, poétique par moment. Littéraire au gré des émotions. Une critique relevait ma façon d’écrire, un style minimaliste qui s’affranchit des codes du roman dit « classique ». Ça me plaît bien cette idée de modernité. Un présent immédiat, morcelé. Un style fragmentaire, plastique qui laisse place aux sensations, à l’intime.
Comment donnerais-tu aux lecteurs l’envie de le lire ?
Une balade, des voyages, la littérature, la musique, l’art, une histoire d’amour, à l’ombre de réminiscences des années 90 et 2000. Mon livre parle d’un passage, d’une étape : le passage à la vie adulte. Passage chaotique, marqué par le deuil. Le manque de confiance, l’assignation à un milieu social. L’hypersensibilité. Les rencontres. Et l’amour. Celui qui n’arrive pas au bon moment. Une manière d’aborder le passé et les souvenirs…
De quels retours avais-tu le plus peur ?
Celui de ma mère. La relation mère-fille évoquée dans le roman n’est pas forcément heureuse. J’attendais ses retours. Elle ne l’avait pas lu avant publication. C’est une grande lectrice. Je crois que j’avais bien plus peur de ses émotions à l’égard de ce que je dévoilais que de ses critiques sur le style. À la limite, celles-là, je les aurais espérées afin d’oublier le reste. Je me souviens, après lui avoir donné mon livre, j’ai eu quelques nuits difficiles. Elle bouquine les soirs, alors j’imaginais le chapitre où elle en était. Ce qu’elle avait déjà lu. Ce que j’ai aussi fait pour tous mes proches. Usant. Je me mettais à leur place. J’en ai eu des suées. Puis ma mère m’a appelée, émue, touchée par l’évocation du père. J’étais soulagée. Cependant, ce que je n’avais pas anticipé, c’était sur les passages sensuels. Elle les avait trouvés carrément érotiques. Elle s’est même interrogée sur mon vécu : quand ? Avec qui ? Surtout, ma maîtrise du sujet pour écrire et décrire de tels moments. Et parler de sexe avec ma mère, ce n’était pas le genre de discussion que j’envisageais, que j’espérais avoir. À travers une toile, des matières, on peut se camoufler. Les mots exposent. Mais j’ai aussi découvert que l’on s’attarde, reconnaît, retient, ce que l’on veut, ce que l’on a décidé d’un bouquin. Et ce n’est pas plus mal.
C’est quoi la meilleure critique pour l’instant ?
Il y a eu celles de personnes d’autres générations, qui se retrouvaient dans la tension, le souffle, l’impression de voir des fragments de leur vie. Mais la plus jolie a été : « Habité par la grâce, la délicatesse et la pudeur, le premier roman de Valérie Sztor ». Lire mon nom aussi, juste après le mot roman…
Je le trouve très girly, je me trompe si je dis trop ?
Effectivement, le roman évoque un parcours de vie de femme. Le trouble des premières fois, les premières expériences. L’apprentissage du désir. Les élans contrariés. Ce que l’on s’impose, ce que l’on nous impose. L’oscillation, le balancement cruel, le poids d’une éducation, un héritage. Surtout les injonctions des années 90, une approche du sexe, du corps, la jouissance, acquise, libérée, l’obligation de se donner et au milieu de tout ça, la sensibilité d’une héroïne qui chemine, essaye de s’accorder avec ses émotions. Les personnages masculins ne sont pas laissés de côté, d’une assurance feintée, ils sont tout aussi largués dans ces jeux de rôles.
Pour une adaptation ciné, tu vois qui dans les rôles principaux ?
Je suis contente de cette question, car je me suis souvent amusée à imaginer des acteurs pour certains personnages. Alors, Claire Pommet (dite Pomme, la chanteuse), avec les cheveux courts. Elle a eu son premier rôle récemment dans La Vénus d’argent d’Hélèna Klotz. Sa voix, sa sensibilité, pour moi, c’est Énola. Romain, sans hésitation, ce serait pour Raphaël Quenar, parce que j’adore l’acteur. Ce qu’il dégage, sa présence, ses intonations. Il me fait penser à Romain. Sacha, ce serait Finnegan Oldfield, l’acteur franco-britannique, nommé au César du meilleur espoir masculin en 2018 pour Marvin ou la Belle Éducation. Aussi parce qu’il est un grand connaisseur de musiques jamaïcaines, son père étant un proche d’un des pionniers du reggae en France, Lord Zeljko. Et ça, Sacha aimerait beaucoup ! En Simon, je vois Mehdi Baki, qui a joué dans le film En corps de Klapish. Sa présence, sa gestuelle, sa discrétion. Et Mathias, ça a toujours été difficile de le projeter, il est juste de passage dans le roman. Mais en voyant le dernier Woody Allen, Coup de Chance, Niels Schneider qui joue le rôle d’Alain lui correspondrait finalement. Je me suis même imaginé un réalisateur, Klapish, pour sa façon de filmer la jeunesse, la raconter, au travers de ses espérances et ses désenchantements.
Ton prochain roman va aborder quel sujet ?
Il est écrit. Je suis actuellement dans mes corrections, mes relectures. Je prévois de l’envoyer fin janvier à Calmann-Lévy pour un concours. Et ensuite en fonction, en avril, à d’autres maisons d’édition. Cette fois-ci, j’explore la fratrie, le carcan de l’éducation bourgeoise, le couple, les choix parentaux et la terre, la nature, le retour à la terre salvateur. Il parlera de deux frères, de parents néoruraux, qui dans les années 80 décident de tout quitter pour l’Ardèche. Ne prenant dans leur périple qu’un seul des enfants, le plus jeune. Laissant l’autre terminer ses études à Paris. Deux jeunesses des années 80, 90, qui vont se confronter. Une, ancrée dans les milieux punks parisiens, sa dérive violente vers l’extrême droite et l’autre, oubliée, à l’écart, une jeunesse de village des années 90, dans une région isolée avec tout ce que cela peut comporter. Les solitudes, les décalages, les amis un peu perchés, les soirées, les excès, les questionnements et les choix. Et enfin, un retour, véritable cette fois-ci, le retour à la terre d’un des deux gamins…
Ce format est également à retrouver dans le Bold Magazine #84, à paraître ce vendredi.
Prochaines séances de dédicace : le 22 mars au Fox Coffee à Metz et le 12 avril à Ma P’tite Librairie à Clouange.
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