La Review : Godefroy Gordet a sorti ses tripes à l’Ariston
La semaine dernière, l’Escher Theater proposait la dernière création de Godefroy Gordet, Juste un homme, avec un fusil, à l’Ariston. Une pièce vive et cinglante, dénuée ou presque d’effets de manches inutiles et qui illustrait parfaitement l’évolution du travail de son metteur en scène…
En gros, c’est l’histoire d’un mec qui pète un plomb, le tout très joliment orchestré l’équipe de création et interprété de manière furieusement magistrale par un Romain Ravenel en très grande forme. On pourrait s’arrêter là, tant on a envie d’imiter Gordet dans ce qui est certainement son travail le plus abouti jusque-là, déshabillé de tout ou presque à part de l’essentiel pour toucher le public en plein dans le mille…
Que de chemin parcouru depuis ses premiers travaux Sang Sexe ou Witold – seul en scène long comme le bras – donnés à l’époque à l’Espace Bernard-Marie Koltès à Metz : le jeune auteur et metteur en scène n’était jusque-là pas vraiment connu pour sa concision ou son recul de compétition – il le sait et il nous pardonnera sans doute de le rappeler ici – et c’est donc d’autant plus plaisant de le voir affuter à ce point le texte comme sa réalisation sur scène.
« L’histoire commence un mardi. Un homme vend des télévisions dans un de ces petits magasins de ville. Des programmes y défilent toute la journée. Ce mardi-là, sa femme le quitte, et sa vie part en vrille. Le mardi d’après, une édition spéciale est diffusée à la télévision : un type en costume-cravate a été kidnappé »… Voilà, on est déjà dans le vif du sujet. Au cœur de ce thriller théâtral, un personnage qui a perdu pied, qui ne comprend plus ce qui l’entoure, qui ne supporte plus l’ordre établi des choses. Pourquoi lui devrait-il souffrir plus que les autres ? Une interrogation finalement saine et ô combien contemporaine, actuelle. Pour camper cet homme « normal » qui sombre dans la folie, un des acteurs fétiches de Gordet, Romain Ravenel, tout bonnement bluffant d’exactitude. Si son visage tantôt crispé de frustration et de colère, tantôt désarmant de désillusion et de résignation est un miroir parfait pour le public invité à partager avec lui ce journal intime rédigé fusil à la main, c’est tout son corps qui intègre entièrement la mise en scène, des convulsions rendues sur écran via son smartphone aux balades en coulisses, à la dernière clope allumée sur le perron du théâtre, difficile de ne pas saluer la prestation.
D’autant que la scénographie, l’ambiance musicale signée Stephany Ortega et Sylvain Montagnon et la mise en lumière – forte de nombreux écrans et d’une création numérique bien fournie – de Guillaume Walle et Éric Chapuis sont elles aussi particulièrement réussies ! Plus cryptiques, mais très agréables à l’écoute, les passages chantés par soprano Stephany Ortega ponctuent l’action de parenthèses lyriques qui peuvent décontenancer, sans nuire pour autant au tout…
Juste un homme, avec un fusil a commencé à voir le jour il y a un petit moment, lors du TalentLAB 2019, puis a été retravaillé lors de plusieurs résidences qui ont sans doute permis, au fil de celles-ci, d’arriver à ce résultat plutôt très réussi. Et qui donne un aperçu de ce que pourrait bien devenir la prose et les talents de mise en scène de Godefroy Gordet dans les années à venir…
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