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L’Ode à Tout d’ENGLBRT, duo immanquable de la saison musicale

Par Godefroy Gordet

Rencontre et portrait avec Georges Goerens et Niels Engel, duo de musiciens chevronnés ayant décidé de s’acoquiner sur un nouveau projet, ENGLBRT, que vous aurez du mal à louper cette saison : Usina, Congés Annulés, Francofolies, Siren’s Call : ils sont de toutes les scènes!

ENGLBRT, à ne pas confondre avec Englebert Humperdinck, star de la chanson britannique, un crooneur sous pseudo au style bien éloigné de celui du duo que forment ici Georges Goerens et Niels Engel.« ENGLBRT », contraction de « Engel » et « Bartleby », rassemble deux univers musicaux, l’un jazz-pop élaboré sous vingt-cinq années d’expérimentation académique et de jam sessions, l’autre folk-pop, étoffé sous plusieurs noms, de Seed to Tree à Bartelby Delicate. Par hasard, ou peut-être pas, les deux musiciens se croisent au détour des enregistrements du travail de Jérôme Klein et c’est le coup de foudre. Une flopée de Battins plus tard, les voilà décidés à former ENGLBRT sans savoir encore à quoi cela ressemblera. Quelques années plus tard, ce mélange de la batterie jazz survitaminée de Engel, et de la pop-rock-folk de Georges, avec l’ajout d’une touche électronique dans l’air du temps, forment l’identité stylistique d’ENGLBRT, pour que les deux musiciens définissent leur musique comme « défiant les genres ». Après une date symbolique au « LëtzMusek » by POST Luxembourg, où il joue le titre Harm à la Philharmonie avec l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg, les voilà catapultés en tournée dès la mi-mai. Aujourd’hui, d’autres défis les attendent en live, face à un public bouillonnant de curiosité.

NEILS & GEORGES

Neils Engel est batteur régulier au Grund Club VOICES Band depuis 2015. De formation classique, menée au Conservatoire d’Esch-sur-Alzette et de Luxembourg pendant son adolescence. Il enchaine avec le Conservatoire Royal de La Haye, où il étudie la batterie jazz-pop avec des pontes tels que Joost Patocka, Stefan Kruger, Frits Landesbergen et Erik Ineke… Actuellement, logé dans plusieurs formations et groupes comme l’Orchestre National de Jazz de Luxembourg, le Pol Belardi’s Force, le Marc Mangen Trio, BEAM, Ernie Hammes Group ou le David Ascani 4tet, il a tout de même trouvé le temps pour s’investir dans un nouveau projet. Et ainsi, ENGLBRT lui a permis de sortir un peu de son schéma de composition habituel.

Georges Goerens s’est quant à lui fait un nom en tant que leader, chanteur et compositeur du groupe indie-rock Seed to Tree, incontournable au Grand-Duché, et plus tard, en 2017, autour de son alter-ego « Bartleby Delicate ». Un projet en solo couplant voix et guitare sur des textes poético-philosophiques, par lequel il se permet d’expérimenter des choses, sans tourner le dos à l’excellent quatuor luxembourgeois Seed to Tree avec lequel il continue de tourner encore aujourd’hui. À l’époque, dans l’édition d’avril/mai de Bold Magazine (#57), nous nous étions d’ailleurs entretenus sur la création de Bartleby et Goerens évoquait le « plaisir d’une relation individuelle à la musique ». Aujourd’hui, associé au batteur Neils Engel, il constitue ce duo qu’est ENGLBRT et vogue vers un tout autre type de musique.

GENÈSE

« On s’est croisé un peu par hasard, c’était l’opportunité d’associer deux backgrounds tout à fait différents, d’apprendre. Rien n’était planifié, on s’est dit qu’on pouvait faire de la bonne musique ensemble », précisent-ils. En novembre 2020, Niels Engel enregistre les morceaux du dernier projet de Jérôme Klein au Holtz Studio chez l’ingénieur du son et producteur Charles Stoltz. Georges Goerens lui-même y travaille pour ses projets et a vent de la présence du trio, « ça m’intéressait de voir comment ils travaillent. Je suis passé et j’ai croisé Niels que je connaissais seulement de vue ». Pendant que les autres musiciens enregistrent leurs parties, Niels et Georges font connaissance, « on buvait des bières, on écoutait la musique et on discutait, c’est comme ça qu’on s’est rencontrés ». Entre certains enregistrements Engel, une à deux heures à tuer : « quand j’ai vu Georges entrer avec un six packs de Battin c’était gagné d’avance ! », raconte le batteur. Après ce moment convivial, c’est Engel qui fait le pas de proposer à Goerens plusieurs sessions de jam. Très vite, une certaine atmosphère musicale se dégage de leurs répétitions, « une sorte de son était déjà là, malgré nos univers musicaux très différents. On a canalisé ces différences dans le bon sens, ça a été tout de suite très rafraîchissant », raconte Engel.

Alors que la pandémie résonne encore, cette période offre pourtant du temps, rareté pour les artistes, et une opportunité pour se réinventer, se lancer dans autre chose, « on n’ose pas le dire, mais cette situation pandémique nous a donné la possibilité d’aller vers ailleurs. Avec Niels, on s’est rencontrés dans un moment où on avait le temps de commencer quelque chose de nouveau ». Tout de suite, ils trouvent une identité sonore sans établir de direction, un facteur de spontanéité qui les motive encore plus, « ça marche, car on est très différents et en même temps on a beaucoup de respect face à ces différences ».

Fasciné par l’éducation musicale de Engel et sa capacité de composition, Goerens apprend du côté intellectuel de sa musique qu’il décrit comme inépuisable même après vingt écoutes. Et puis Engel a cette capacité à pousser Goerens dans ses retranchements, « il croit en moi plus que moi-même. De temps en temps, je suis du genre à freiner, en lui disant que je ne suis qu’un musicien pop, mais il me pousse encore plus ». Cette dynamique est de fait très encourageante, et chacun de leurs points forts prévaut dans leur musique commune, « c’est quelque chose que j’apprécie chez lui, outre le fait que ce soit le meilleur batteur avec lequel j’ai joué dans ma vie », finit Bartelby.

Pour Niels Engel, un mot résume la relation artistique qu’il entretient avec Georges Goerens : « sincérité ». Après vingt-cinq ans d’études académiques au Conservatoire, après avoir joué avec des ensembles de clarinette, de pianos, de percussion classique, etc. le batteur l’exprime avec passion, « en rencontrant Georges, j’ai retrouvé la simplicité et la vérité de chaque note. Je pense vraiment que c’est grâce à lui si j’ai retrouvé cette chose primordiale dans la musique. Et c’est le plus grand compliment que je peux faire à un musicien ».

A KUFA’S DUET

Entre mai et juin 2021, le duo se « retire » un temps en résidence au centre culturel Kulturfabrik à Esch-sur-Alzette, pour finalement concevoir la palette sonore distinctive d’ENGLBRT. Là, Engel et Goerens posent les bases de leur EP et de leur album à venir. Alors à leurs balbutiements en tant que duo, si leur démarche de fond s’étoffe, c’est principalement un processus créatif commun qu’ils trouvent, « c’était le début de l’histoire d’ENGLBRT et le début de mon histoire avec la Kufa » – Georges Goerens est actuellement programmateur littérature & performances pluridisciplinaires à la Kulturfabrik. « Grâce à Marc Scheer, on a pu avoir accès au Kinosch, s’y installer et y imaginer près d’une heure de musique ».

Arrivés avec une quantité d’instruments, très vite ils en abandonnent une grande partie pour aller à l’essentiel, « on est d’abord partis dans tous les sens, et puis on a viré, viré, et viré, et en distillant on a fini par arriver à quelque chose de nouveau ». Influencés par une playlist créée en amont pour nourrir leur univers commun, Niels et Georges écoutent et se reconnaissent dans certains grands noms de la scène des musiques actuelles, « on s’est fait embarquer par le travail du duo Yussef Dayes et Tom Misch, un guitariste et un batteur de la scène néojazz de Londres. On revenait souvent sur le travail de James Blake, sa pop complexe et à la fois décontractée. Et nos héros ont changé au fil des jours. Bon Iver était là aussi, comme un gourou, mais aussi Smile, Thom Yorke et évidemment Radiohead ».

Dès ses débuts, le projet ENGLBRT est fondé sur une recherche constante, sur l’envie de faire du neuf, de créer quelque chose qui n’existe pas encore, tout en faisant une musique accessible pour le grand public. Et en même temps quelque chose de réfléchi, une musique qui ne s’écoute pas qu’au premier degré, « c’est aussi là où c’est très compliqué, car il faut essayer d’éviter “le cliché“ et essayer de se réinventer sans rendre les choses compliquées. C’est une quête et ce projet est et restera une recherche constante », expliquent-ils.

ODE TO EVERYTHING

En mars dernier, ENGLBRT sort le clip de Harm, titre électronique et lyrique, mis en images aux Rotondes par Laurent Rischette et Jérôme Mergen aux images et Marc Thein à la lumière, teaser de leur premier EP Odes to Everything qui est sorti via Listenrecords cette année. De l’aspect recherche de leur musique, ils tirent donc les quatre titres de cet EP qui partent, de fait, dans plusieurs directions, tantôt vers la balade, tantôt vers « des percussions plus orchestrales », tantôt dans une sorte de voyage, explorant plusieurs humeurs et émotions, ou comme le titre Harm qui est plus électronique, se rapprochant du côté de Radiohead qu’ils citent plus haut…  « On ne veut pas se freiner à trouver un cadre musical. Ici, c’est l’artistique d’abord et ensuite on se pose la question de comment communiquer autour ». Côté narration, comme Bartleby Delicate le murmurait, ENGLBRT plonge dans des récits éthérés, prenant pour ligne des humeurs incontrôlables, des sensations instantanées, une sorte de prose divinatoire, de confession expurgatoire, « une ode à tout ».

Ainsi, avec Ode to Everything, ENGLBRT livre quatre façons différentes de percevoir le monde, « ce qui tient les fils de ce monde qui est devenu tellement compliqué. C’est un EP qui résume très bien notre approche de la création, libre, volage et forte d’une identité qu’on ne perçoit pas à la première écoute, mais que le public saura ressentir », précisent-ils. Ainsi, avec cet EP aux multitudes de styles et de combinaisons harmoniques, ENGLBRT réussit le pari de la parfaite association musicale, « Georges reste toujours Georges, et moi je reste toujours moi. On conserve nos backgrounds, en les contrôlant et en restant ouvert l’un envers l’autre », explique Engel. Et puis, dans la construction d’ENGLBRT chacun trouve à s’instruire de l’autre, Goerens forçant les harmonies, quand Engel aimerait les simplifier, « le projet va se finir avec Georges en musicien jazz et moi en musicien pop-rock », s’amuse Engel. ENGLBRT est loin d’en avoir fini, au contraire : en tournée un peu partout au Luxembourg, ils font sonner leur EP évidemment, mais aussi un album en préfiguration, « on a beaucoup de matière et cette tournée est une manière de tester des choses, de nouvelles chansons, pour voir ce qui marche ou non. Le live est notre force créatrice, et on espère que ça va le rester », concluent-ils en symbiose.

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