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Sova Stroj : Le Flammant danse sans rien dire

Par Sébastien Vécrin / Photos : Michaela Knizova

Ne comptez pas sur Michel Flammant pour enflammer le dancefloor. Son truc à lui, c’est l’ambient expérimental, comprenez de longues nappes darkos et angoissantes qui vrombissent pendant 15 minutes sans aucun boom boom. Génial, le Luxembourgeois vient d’inventer la bande originale idéale pour faire une sieste en enfer. Portrait par Sébastien Vécrin.

Coucou hibou

Sova Stroj, son blaze, signifie « hibou machine » en slovaque, la langue maternelle de sa chérie. D’ailleurs, c’est sa douce elle-même, Michaela Knizova, qui signe la totalité de l’artwork de ses albums avec ses photos captivantes. Après avoir taquiné de la basse à 17 piges dans un quatuor de black metal, de la guitare dans une formation stoner rock et du clavier dans les groupes de synth wave Minipli et Plankton Waves, Michel se lance dans l’expérimentation sonore électronique. « Au début de ma carrière musicale, nous étions quatre, puis trois, ensuite deux, pour finalement me retrouver en solitaire. Je me suis naturellement orienté vers un projet de musique assistée par ordinateur, seul maître à bord (sourire) ».

Sova Stroj accouche en 2016 d’un premier album baptisé Silent Earth. Quatre plages délicieusement entêtantes, froides à souhait avec des incartades stridentes qui vous invitent à vous faire couler un bon bain chaud, d’allumer des bougies et de vous tailler les veines en méditant à l’absurdité de l’existence. Youpi ! Ni mélodie, ni rythme, simplement des timbres sonores pour se perdre dans de profondes fréquences de drone. « À première vue, ce style de musique peut sembler facile à faire. Tu ouvres un oscillateur et tu bouges un bouton, mais pour moi, le but ultime est de chatouiller le cerveau de l’auditeur avec de subtiles perceptions basées sur des harmonies de vagues qui se percutent. » Aucune concession, juste pour son propre plaisir, Sova Stroj enregistre un titre en deux jours, puis finalise, arrange et mixe le son plus tard, quelquefois plusieurs mois après, quand l’inspiration pointe le bout de son nez.

Let’s make it happen

Au Grand-Duché, les fans de musiques extrêmes ne sont pas légion. Michel est presque seul assis sur son trône de fer et de rouille. Alors, forcément, il rencontre Rafael Severi alias DJ Sensu. Expatrié dans la contrée de la finance, le Belge distille sur ses platines du son radical et froid comme le cœur de votre ex. Son frère dirige un label depuis Bruxelles, Testtoon Records, qui ambitionne de faire la part belle aux élucubrations harmonieuses qu’affectionne Mich. Un lien Soudclound plus tard et deux emails, l’affaire est dans le sac. Le premier opus de Sova Stroj voit le jour sous la forme de 300 vinyles très bien accueillis par un public averti et quelques chroniqueurs esthètes. Le skeud se retrouve en facing dans les records stores les plus pointus du plat pays et Sova Stroj place enfin le Luxembourg sur la carte de l’ambient expérimental. Hallelujah !

Loin de se reposer sur ses lauriers, le producteur enchaîne rapidement d’autres albums sans suivre aucune règle. Ses tracks oscillent entre trois et 19 minutes selon son mood et son inspiration. Même si ses morceaux sont dépourvus de paroles, Michel y insuffle ses convictions politiques et écologiques. On peut tout à fait glorifier les escadrons de Satan et aimer se prélasser dans une prairie ensoleillée sans aucune trace de Monsanto avec une marguerite bio dans la bouche.

La Isla Bonita

Des émotions, des images, un concept, un voyage, une résidence, un nouveau synthétiseur modulaire : Sova Stroj change de recette à chaque disque. Pour son premier skeud, il s’intéresse au Mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité qui encourage tous les Hommes à s’abstenir de se reproduire pour provoquer l’extinction progressive de l’humanité et éviter la détérioration de l’environnement. Ambiance tipp topp. « La nature reprendrait ses droits au sein d’une dystopie poétique. Plus aucun bruit. Plus aucune civilisation. J’ai eu envie d’illustrer musicalement cette apocalypse. » Son délire peut sembler abstrait au début, mais il reste fidèle à une ligne directrice et une direction artistique pas piquées des vers. Quant à sa dernière sortie, « Isla », le titre se réfère aux premières lettres d’Islande. Michel et sa bien-aimée y sont partis deux semaines, dans un village reculé du nord-est du pays de glace, dans une résidence d’artiste comprenant une petite chambre équipée d’un studio d’enregistrement. Immergés dans un environnement sauvage, apaisant et écrasant à la fois, sa chérie en a profité pour réaliser un projet photo et lui pour enchaîner des fields recording incroyables. « Le grondement des chutes d’eau gigantesques, le calme absorbant des champs de lave et le sifflement des entrailles de la Terre m’ont énormément inspiré. » 

Après deux LP et deux cassettes sur Testtoon, le label explose en plein vol. Trop d’underground tue l’underground. Cependant, rien n’arrête un Michel qui triture ses potards et il se fait rapidement remarquer par le Berlinois Nicolai Bähr qui manage Rohstoff Records. « Il m’a envoyé un DM sur Facebook, séduit par mes sons. J’ai sorti mon projet Transcend chez eux. » 

Cinéma Cinéma !

Parallèlement à ses albums, Sova Stroj compose la bande originale de deux courts métrages et du thriller Skin Walker réalisé par Christian Neuman. Autour des méandres d’une famille dysfonctionnelle, le film raconte l’histoire d’une jeune femme fragile contrainte de retourner au bercail. Elle doit revivre ses anciens traumatismes et se confronter à la véritable source de culpabilité qui hante son home sweet home. Le musicien et le réalisateur se connaissent depuis belle lurette. Christian a plusieurs casquettes et dessine également « Belle Sauvage », une marque de wear. Le designer lui a confié l’illustration sonore de l’un de ses défilés et de deux spots publicitaires. Une griffe sombre et déjantée pour le marché anglais et asiatique qui matche parfaitement avec l’univers de Sova Stroj. « Pour ce long métrage, nous avons dû trouver un langage commun. Christian n’écrit pas de musique. Il parlait en émotion et j’ai dû traduire ses envies. J’ai créé des maquettes basiques pour matérialiser une atmosphère sur le plateau de tournage. Ensuite, lorsque j’ai reçu les séquences, j’ai adapté mes sonorités en fonction des rushs. » Six mois de boulot acharné plus tard, un mixage et un mastering aux petits oignons, Sova Stroj signe la BO du film le plus dérangé psychologiquement de l’histoire du septième art grand-ducal.

Côté actualité, le luxembourgeois vient de sortir Travelling Waves 1 sur le label Elan Vital en début d’année. Cet album a été élaboré sur le légendaire synthétiseur ARP 2500. Travelling Waves 2, composé cette fois-ci sur un orgue, sortira cet été sur le même label. Lors de notre interview, il préparait également un album doom électronique avec de très longs riffs de guitares saturés. « J’ai découvert des harmonies insoupçonnées dans les distorsions, ce qui rendra l’écoute encore plus complexe. De plus, j’ai également un projet d’album expérimental ambient en collaboration avec DJ Sensu, où nous intégrons subtilement des éléments rythmiques. »

Ce format est également à retrouver dans le Bold Magazine #80, à lire en ligne ici!

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