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Woodkid : “Faire résonner mon œuvre avec le monde qui nous entoure”

Interview : Mathieu Rosan

Véritable touche-à-tout, Woodkid est un artiste complet qui se nourrit du monde qui l’entoure pour nous proposer des œuvres aussi marquantes artistiquement que politiquement. Des clips qu’il a réalisés pour Lana del Rey ou Drake en passant par ses collaborations avec Rihanna, celui qui fut notamment l’ancien directeur artistique de Pharrell Williams est une référence en matière de créativité. Alors que The Golden Age, son premier album sorti en 2013, avait été un succès planétaire, Yoann Lemoine, alias Woodkid, était de retour en 2020 avec S16 un second opus qui était plus qu’attendu. De passage par neimënster l’été dernier pour un concert exceptionnel, nous avons eu la chance d’échanger avec lui afin d’en savoir plus sur cet artiste aux multiples talents. Rencontre. 

Pourquoi autant d’années entre tes deux projets ? Est-ce que l’on peut dire qu’il t’a fallu un peu de temps pour digérer ton premier album et le succès qui allait avec ? 

Oui, il y a de ça, mais pas que. C’est également parce que j’étais très excité à l’idée de retourner un peu dans l’ombre et de travailler pour d’autres artistes. C’est quelque chose que j’adore faire. 

Ce que tu faisais avant ton premier album finalement…

Exactement ! C’est dans mon ADN, donc forcément, j’avais aussi besoin de retrouver ça. Je pense que c’est une histoire de cycle : après quatre années à ne parler que de moi, j’avais le souhait de me mettre au service d’autres personnes et de disparaitre un peu. Il y a beaucoup de force à tirer du silence et dans le fait de disparaitre un peu. Il faut parvenir à encaisser la notoriété, ce n’est pas toujours facile pour l’ego. Mais lorsque l’on arrive à surmonter ça, on devient plus fort.

Justement, est-ce que ce deuxième album a été un moyen pour toi de consolider ton lien avec le public ? 

Oui et non. Il y a beaucoup de personnes qui sont parties entre temps : je n’ai pas pensé cet album en me demandant si c’était ce que voulait mon public. Je l’ai davantage imaginé, car je ressentais le besoin de partager quelque chose. Il n’y a rien de dictatorial ici ; de nouvelles personnes se sont greffées, d’autres sont parties. Cela fait partie du jeu. Je me suis simplement posé la question de quelle histoire j’avais besoin de raconter à ce moment-là. 

Durant ces sept années, qu’est ce qui a changé pour toi en tant qu’artiste…

J’ai notamment appris beaucoup de choses techniquement, musicalement et en termes de production. J’ai également développé ma voix en chantant et j’ai pas mal gagné en tessiture. En outre, j’ai essayé de travailler de nouvelles couleurs et de nouveaux timbres. Et puis j’ai peut-être appris à ne pas chercher la surexposition. C’est un album plutôt « sous-exposé », dans tous les sens du terme. Parce que j’avais envie aussi de faire un album comme un pied de nez a beaucoup de diktats. Ou en tout cas aux règles un peu tacites de l’industrie du disque. J’avais besoin de faire un album qui était un peu rebelle par rapport à ça. 

L’album s’intitule S16, ce qui représente le soufre en physique. Pourquoi ce choix ? 

Absolument ! Il faut d’abord savoir qu’il s’agit d’un album que j’ai traité quasiment comme un petit chimiste. J’ai eu envie de mélanger les sonorités pour créer un album de fusion, comme dans une usine par exemple avec différents métaux. Il y a toute une thématique sonore et visuelle dans laquelle j’évoque parfois des éléments chimiques. Et puis le soufre c’est quelque chose de très ambivalent, à la fois fondateur et à la fois extrêmement toxique. Il y a beaucoup de complexité dans sa composition. Je trouvais très intéressant d’utiliser son code, car il interpelle et cela m’amène forcément à en parler. La preuve avec toi aujourd’hui (rires).  

Ta musique va plus loin qu’un simple texte et une mélodie. C’est un univers dans sa globalité. Pour S16 quel a été ton postulat de départ ? 

J’avais envie de faire un album industriel. Évidemment, c’est très large comme mot et, d’un point de vue musical, lorsque l’on parle de « musique industrielle », on a tout de suite des légendes qui nous viennent à l’esprit. J’avais besoin de parler de ces grandes forces et de m’offrir la possibilité d’évoquer les grands contrastes que l’on peut y trouver. S16 est un album qui parle de la petitesse de l’humain face à l’immensité de monde industriel, physique et chimique. J’avais également la volonté de proposer des chansons d’amour et de me pencher sur quelque chose de plus intime. Au final, j’ai fait en sorte que tout cela entre en collision et qu’il y ait plusieurs degrés de lecture autour de cet album. 

Tu mets généralement beaucoup d’émotions dans tes projets, avec des messages assez importants et lourds. Est-ce que tu as déjà eu le souhait de créer une œuvre plus légère ?

C’est une bonne question. Alors oui, j’en ai déjà ressenti l’envie. C’est d’ailleurs quelque chose qui me traverse en ce moment. Malgré tout, je garde toujours une distanciation et une certaine forme de dissonance dans mes créations. Je peux avoir envie de faire un album de « dance », mais j’aime garder ce contraste en proposant un message fort et politique. Je souhaite avant tout que mon œuvre résonne avec le monde qui nous entoure. Qu’elle se confronte avec la couleur de celui-ci afin d’inventer quelque chose de thérapeutique. Du coup, à chaque fois que je me suis essayé à plus de « légèreté », j’ai trouvé que j’étais à côté de la plaque. Je n’ai pas encore trouvé la manière intelligente de le faire. Mais je ne désespère pas (rires). 

« J’avais envie de faire un album comme un pied de nez a beaucoup de diktats »

WOODKID

La solitude est une thématique que l’on retrouve également beaucoup chez toi. Est-ce un sentiment qui s’est accentué avec la pandémie ? 

Je dirais que oui mais, encore plus que la pandémie, c’est avant tout le désir de faire cet album-là. Forcément, en travaillant sur un projet qui était en opposition avec certaines règles de l’industrie, des chansons longues etc., certaines personnes se sont désolidarisées et m’ont dit que cela serait trop complexe pour fonctionner. Le fait que l’album ne rentre pas dans les cases ajouté au fait que je me suis parfois retrouvé seul à y croire, est effectivement une forme de solitude que j’ai dû affronter.   

J’imagine que de telles réactions t’ont encore plus motivé à aller au bout de ce projet ?

Clairement ! Je suis un petit peu, comment dire ? Provocateur ! (rires) Loin de moi l’idée d’être une sorte de punk de la créativité, mais disons que j’aime la provocation un peu silencieuse. 

Au même titre que la composition d’un album, la scène est également un espace de création pour toi. Est-ce que lorsque tu composes, tu imagines la scénographie en parallèle ? 

Clairement ! En composant S16, j’avais déjà en tête sa projection sur scène. Je savais qu’il y avait dans cet univers « un peu pétrochimique », une sorte de thriller industriel et donc quelque chose de très puissant pour la scène. Mon premier album n’avait d’ailleurs pas été pensé pour le live et j’ai dû réfléchir à toute la scénographie après coup. J’ai donc pris conscience que les ruptures sur scène étaient importantes, tout comme les notions de contrastes. Lorsque l’on a le public sous la main, on peut l’emmener dans un univers à part entière : c’est très excitant en termes de créativité. 

Tu es auteur, compositeur, interprète, réalisateur, musicien, graphiste. Dans quel rôle te sens-tu le mieux ? 

Cela dépend des périodes. J’ai justement décidé de ne pas faire un choix, car je suis heureux dans tout ce que j’ai la chance de faire. Il est vrai qu’après un long cycle à ne faire que des images pour mes concerts, j’avais envie de retourner à la musique, de retrouver mon studio et de me jeter derrière mes ordinateurs. 

Tu as récemment travaillé avec Hideo Kojima sur le jeu Death Stranding. Tu peux nous raconter ce projet ?

C’était incroyable ! Il est un peu mon maitre à penser et il a notamment marqué une grande partie de ma jeunesse (ndlr ; Hideo Kojima est notamment le créateur du jeu devenu culte Metal Gear Solid). Lors de notre rencontre, il y a eu une connexion instantanée et il m’a rapidement confessé avoir la volonté de travailler avec moi sur plusieurs projets. Lorsque je lui ai fait écouter mon premier album, pas mal de connexions se sont faites, et notamment concernant ce qu’il souhaitait musicalement pour ses jeux. Nos univers respectifs sont très liés et nos inspirations du monde contemporain sont semblables à plein d’égards. Concernant Death Stranding, je pensais qu’il souhaitait utiliser un bout de ma musique dans son thriller et pas forcément dans le jeu dans son entièreté. Cette volonté d’associer mes musiques à son œuvre vidéoludique est vraiment quelque chose d’incroyable pour moi.

C’était un souhait de ta part de travailler sur un projet lié au jeu vidéo au moins une fois dans ta vie d’artiste ? 

Oui, car cela fait partie de ma culture a la base. Mon premier job était dans l’industrie vidéoludique. C’est un milieu avec lequel j’ai toujours été très proche. J’ai d’ailleurs beaucoup d’amis qui travaillent dans le jeu vidéo. 

Quelles sont tes envies pour la suite ? Je sais que tu as notamment évoqué le fait de travailler pour le cinéma…

Oui j’ai essayé, mais je n’y suis pas arrivé jusqu’à maintenant, car je n’ai pas trouvé les sujets qui me transperçaient sur la longueur. Malgré tout, je ne désespère pas (sourire).