Acheter de l’art : et pourquoi pas ?
Alors que la Luxembourg Art Week débute ce vendredi 10 novembre et que de nombreux jeunes semblent avoir envie d’investir dans des choses qui ont plus de sens, les galeristes ont plus que jamais un rôle à jouer. Notamment pour aider celles et ceux qui hésitent encore à briser les stéréotypes et à passer à leur premier acte d’achat d’art. Car pour le coup de cœur ou pour miser sur l’avenir, finalement, pourquoi pas devenir collectionneur ?
Collectionneur. Acheteur d’art. Galeriste. Des mots qui résonnent d’un certain écho élitiste depuis des décennies et qui ont longtemps rendu l’achat d’art impressionnant au mieux, inimaginable au pire pour toute une partie de la population. Le rite des galeries d’art, les vernissages mondains, les prix des ventes record : tout un univers qui semble réservé à un certain gratin, stéréotype de plus repris volontiers et souvent caricaturé à l’extrême dans les médias, les séries ou le cinéma. Pourtant, du peu qu’on s’y intéresse en laissant ses préjugés de côté, l’art contemporain – nous nous concentrerons sur ce dernier ici – est tout aussi varié, dans le fond comme dans la forme, que toute autre discipline artistique.
Bien sûr, on imagine mal pousser la porte d’une grande galerie new-yorkaise et flamber sur le premier Kundelitch venu (toi-même, tu as la ref), mais une scène locale, bouillonnante et internationale comme le Luxembourg peut s’avérer un terrain très fertile pour qui aurait envie de « briser le plafond de verre » et devenir jeune acheteur d’art. Surtout qu’elle ou il a l’occasion, en cet automne, d’aller voir un peu ce qu’il se passe sur cette scène grand-ducale puisque la Luxembourg Art Week, qui gagne toujours en trafic et en popularité, a lieu ces 10, 11 et 12 novembre.
L’œil, l’émotion et le coup de cœur
Dans cette volonté éventuelle du premier achat d’œuvre d’art, le/la galeriste semble évidemment l’interlocuteur de choix. Outre la fonction de représentation des artistes qui lui font confiance, il/elle est aussi un dénicheur de talents, un œil reconnu par une communauté lorsqu’il s’agit de savoir, d’approcher et d’exposer qui compte aujourd’hui et – encore mieux – qui comptera demain. Dans ce domaine, Gerard Valerius et la directrice de sa galerie de la place du Théâtre Lou Philipps viennent facilement à l’esprit. En effet, la galerie Valerius jouit d’une réputation solide au Grand-Duché, notamment en ce qui concerne les artistes émergents – Lou étant également l’organisatrice de l’exposition collective Young Luxembourgish Artists, installée jusqu’au 18 novembre chez Kontz, à Bonnevoie. Selon Gerard et Lou, outre le fait de faire confiance au galeriste, il faut avant tout être curieux et aller voir, se documenter, se familiariser avec la discipline de manière à aiguiser son regard et ses affects. Ensuite, même avec un budget « de quelques centaines d’euros » et en assistant à des expositions dédiées, il est tout à fait possible d’effectuer un premier achat coup de cœur. « Avoir un coup de cœur pour sa première œuvre est important. En contrepartie, notre rôle en tant que galeriste va être de trouver en primeur, de dénicher les talents qui n’ont pas encore été vus au Luxembourg par exemple, et dont on a la conviction qu’ils vont faire un parcours intéressant. Nous avons souvent exposé des artistes au tout début de ce parcours, qui sont ensuite partis dans de très grandes galeries internationales », confient les deux associés.
Ce rôle de sélectionneur pointu des talents de demain est également important pour Julie Reuter, propriétaire de la Reuter Bausch Art Gallery – une des plus jeunes au Luxembourg puisqu’elle n’a pas encore 2 ans et située rue Notre-Dame, en plein cœur de la capitale. Julie y expose chaque mois une exposition solo ou en duo d’artistes majoritairement locaux, qui attirent une population de jeunes collectionneurs « qui fonctionnent beaucoup à l’affect » et qui participent à faire vivre le bouillon artistique luxembourgeois. Elle nous explique que ce qu’elle vend, « ce sont aussi des œuvres avec lesquelles ils vont vivre au quotidien. Un aspect que je n’oublie jamais de rappeler à mes acheteurs potentiels ! Si un détail vous gêne au moment de l’achat, il n’en deviendra que plus présent par la suite. Mon rôle est alors de proposer d’autres pièces qui peuvent plaire à la personne, en cernant ses goûts, son envie d’achat et en respectant son budget. » Une toile peut ainsi devenir une esquisse du même artiste, une idée initiale peut changer et se focaliser sur un autre artiste, en évitant toute frustration. Une approche qui semble fonctionner ici, au vu du succès de la Reuter Bausch Gallery lors de sa première présence sur la Luxembourg Art Week en 2022, « qui nous a ouverts à un éventail complètement nouveau d’acheteurs réels et potentiels », conclut Julie Reuter.
Vivre avec un œuvre certes, mais ne pas oublier l’émotion pour autant, comme le rappelle Luc Schroeder, propriétaire de la galerie Mob-Art Studio, qui expose souvent des artistes qui lui sont chers et qui correspondent à sa vision de l’art. « Évidemment, le coup de cœur, c’est très bien, l’investissement c’est très bien aussi, mais si une œuvre ne vous procure aucune émotion, c’est au final de la simple décoration… » La messe est dite !
Connaitre le marché…et se cultiver
Pour Nordine Zidoun, fondateur de la galerie Zidoun-Bossuyt présente non seulement dans un superbe espace du Grund à Luxembourg, mais également à Paris et à Dubaï, il ne faut pas faire n’importe quoi lors d’un premier achat – une conviction qu’il tient de son expérience personnelle. La clé : connaître au mieux ce qui se passe sur le marché afin de minimiser au mieux les risques d’investir dans une œuvre qui ne vaudra plus rien un temps plus tard. Nordine a la présence et le discours d’un vrai marchand d’art au sens expert et commerçant du terme, mais aussi celui d’un professionnel qui a exposé les premières œuvres d’artistes émergents qui ne vendent « plus rien en dessous de cinq millions » aujourd’hui.
Un sort qu’il prédit d’ailleurs l’artiste américain Khalif Tahir Thompson, exposé récemment dans sa galerie de Luxembourg, et qui avait fait le déplacement pour son vernissage au même titre qu’un parterre de grands collectionneurs luxembourgeois. « Je me suis planté sur mon premier achat, je me suis promis que ça n’arriverait plus. Alors j’ai rempli mes étagères de livres d’art, j’ai lu tout ce que je pouvais, j’avais soif de savoir. Je me suis intéressé de près au marché et j’ai pris goût à me remémorer les ventes aux enchères marquantes, les tendances chez les artistes, les dynamiques de la scène new-yorkaise, toujours aussi influente au niveau mondial…» Pour Nordine, on peut évidemment se faire plaisir avec un achat coup de cœur pour un premier passage à l’acte, mais en étudiant bien le budget que l’on souhaite allouer et en prenant les bons conseils, il est possible d’effectuer une très belle opération combinant l’art en lui-même et l’investissement sur le futur.
« Il faut faire attention à ce qu’on achète, et si c’est quelque chose que d’autres vont avoir envie de s’arracher derrière. Si tu achètes une voiture, une Clio par exemple, et que tu penses un minimum à sa revente future, tu vas la choisir dans une couleur fédératrice – gris, noir, blanc – et pas en orange fluo, même si tu aimes ça. Personne ne rachète une Clio orange ! ». Le point est on ne peut plus clair : sa réussite, Nordine Zidoune la doit non seulement à son talent de dénicheur, mais aussi à une culture de l’art et à une masse d’information colossale accumulée au fil des années, qui assurent à ses collectionneurs des achats les plus sûrs possibles, auprès d’artistes à l’avenir très probablement radieux. « Bien sûr, dans l’art, on peut toujours se tromper, ce n’est pas une science exacte. Mais si on a les éléments en main et les professionnels qui conviennent en face de soi, le risque devient plus minime. Et en tout cas, si tu veux devenir un bon petit collectionneur : cultive-toi ! ». La culture, encore et toujours.
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