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Queer moustache avec Valérie Reding

Par Sébastien Vécrin / Photos : courtesy of Valérie Reding

Valerie Reding expose ses séries de photos HVNGRY et HVNGRY for more au nouveau Rainbow Center, rue Saint-Esprit à Luxembourg, jusqu’au 5 janvier prochain. Entretien avec une touche-à-tout transdisciplinaire qui défie toute forme de catégorisation hiérarchique du monde de l’art…

Comment présenteriez-vous votre travail artistique ?

D’un point de vue formel, je travaille avec divers média dont la danse, la performance, la photo, le texte, l’installation, la vidéo et le drag. Ceci dans divers contextes – de l’alternatif et communautaire à des espaces d’art institutionnels comme des galeries et des théâtres. J’organise également la party queer et sex-positive WET DREAMZ au sein de la nightlife zurichoise, combinant musique électronique, des performances et des installations, célébrant tous les corps, identités et sexualités. Du point de vue contenu, je m’intéresse à la psychologie humaine, aux relations interpersonnelles, à l’influence des réseaux sociaux et aux rapports de force et d’oppression qui traversent notre société, notamment de genre, de race, de classe, etc.. Mes thèmes sont nourris par mon expérience personnelle.

Vous souhaitez interpeller le public ?

Avec mon art, j’essaie de toucher les gens. Souvent je travaille sur des sujets sociaux complexes et sensibles. J’ai conscience du fait que chaque personne qui regarde mon travail va le regarder avec son propre bagage et sa propre expérience. Je n’ai donc pas un grand contrôle sur la façon dont va être perçu et interprété mon travail. Je cherche à questionner et à amener le public à réfléchir lui-même plutôt que d’imposer des réponses. Je chéris l’échange avec autrui et utilise la vulnérabilité et la transformation pour encourager le public à laisser tomber leurs carapaces de protection et leurs préjugés. Mon esthétique, souvent très flashy, vient non seulement d’un intérêt pour la culture pop, mais s’inscrit aussi dans une démarche qui explore l’authenticité à travers l’artifice. Et elle vient aussi de la volonté de présenter des sujets difficiles avec un emballage séduisant.

Vous êtes-vous déjà sentie censurée ?

Non, pas dans la vraie vie, car je ne collabore pas avec des curateurice.x.s dans lesquel.le.x.s. je n’ai pas confiance. Cependant, sur les réseaux sociaux, mon travail est régulièrement censuré ou moins diffusé, simplement parce que j’aborde des sujets sociaux et politiques et que je touche aux questions concernant des communautés marginalisées. En plus, comme nous vivons dans une société sexiste, les personnes assignées femmes à la naissance n’ont pas le droit d’utiliser leur corps aussi librement que les personnes assignées homme à la naissance et subissent donc beaucoup de censure de leurs corps sur les plateformes.

Quel est le plus beau compliment que vous ayez reçu ?

L’année dernière, j’ai exposé HVNGRY for more, une des séries que je vais montrer au Rainbow Center, lors d’un festival à Yverdon-les-Bains avec un public très diversifié. Lors de mon artist talk, un homme du public m’a posé beaucoup de questions sur les personnes queers et trans, et sur la non-binarité. Il y avait beaucoup de propos ignorants, quelquefois nourris par des discours haineux homophobes et transphobes. Mais je lui ai répondu avec patience et bienveillance à toutes ses questions. À la fin du vernissage, lui et sa partenaire m’ont demandé si iels pouvaient me prendre dans leurs bras. Iels m’ont remercié de leur avoir ouvert les yeux sur leurs préjugés. Et puis la femme m’a remercié d’exister en disant que les personnes comme moi peuvent aider les gens à mieux se comprendre mutuellement. Ça m’a vraiment touchée ! Car à la fin, c’est ça mon but : créer plus de compréhension et de connexion entre les êtres humains.

Et le pire compliment ? 

Il y a quelques années, j’ai performé mon solo WILD CHILD – une pièce qui met en lumière entre autres le sexisme, l’objectification et les violences quotidiennes que subissent les personnes qui se présentent de façon féminine dans notre société. Dans une scène, je m’étais métaphoriquement et littéralement mise à nu parce que là encore je travaillais avec la vulnérabilité et la séduction pour transmettre des expériences personnelles et sociales douloureuses. Après la pièce, un homme a voulu complimenter ma pièce et m’a juste dit « Tu as un corps hyper sexy. » J’étais abasourdie. Je venais de faire une heure de spectacle sur ce sujet et il lui avait complètement échappé. D’ailleurs, je travaille actuellement à nouveau sur les abus de pouvoir dans l’interpersonnel. Le soir du vendredi 3 novembre 2023, je présenterai mon projet monsters au TROIS C-L à la Banannefabrik. J’y proposerai une performance et présenterai une installation spatiale combinant son, photographie, peinture et témoignages intimes. Au cœur du projet sont des portraits surréels et empowering de personnes ayant surmonté différentes formes d’abus dans le cadre de relations interpersonnelles. Au-delà du tabou et de la honte, monsters cherche à sensibiliser au sujet de l’abus et est une célébration de la (sur)vie, de la vulnérabilité, de l’affirmation de soi, de la solidarité collective et de l’amour.

Qu’allez-vous exposer au Rainbow Center ?

Je vais y présenter deux séries photographiques et un autoportrait surprise. La première, HVNGRY, comprend 7 portraits grand-format de femmes et personnes non binaires, illustrant des archétypes qui, dans notre société, sont utilisés pour dévaloriser, diaboliser, objectifier et pathologiser les personnes exprimant une féminité qui défie l’hétéronormativité patriarcale, raciste et capitaliste: la Sorcière, la Salope, l’Hystérique, la Vieille, la Gouine, la Frigide et la Furie. J’ai utilisé des éléments du grotesque, une esthétique camp ainsi que des références à l’iconographie religieuse pour créer des représentations empouvoirantes de ces stéréotypes. C’est un geste de réappropriation de l’insulte.

J’y expose également, la série HVNGRY for more qui s’apparente à un panthéon d’icônes queer, où l’altérité et la diversité sont nourries et célébrées.  Elle comprend des portraits grand format de personnes queer, trans et BIPOC (Black, Indigenous & People of Color) avec des corps, origines culturelles et sociales, sexualités et identités de genre diverses. Fortement inspirée par des références à la culture pop et par l’esthétique des jeux vidéo, HVNGRY for more crée un espace pour la libre expression de soi bien au-delà de la binarité des genres ou autres catégories sociales réductrices et aliénantes.

Vous vous occupez également des costumes ?

Je gère absolument tout : concept, production, costume, décor, maquillage, shooting, post-prod, administration et communication. Les portraits dans tous leurs aspects sont créés en dialogue avec les personnes représentées, dans le respect de leurs identités, expressions de genre, désirs, besoins, limites et biographies individuelles.

Une partie de ces personnes sont issues de mon entourage personnel. Je les connais donc bien et peux créer des représentations sensibles d’elles. Avec les personnes que je connais moins bien ou pas encore, je prends énormément de temps pour avoir des discussions approfondies avec elles au préalable, pour bien comprendre leurs personnalités et leurs univers. Ensuite, le jour du shooting, je mets tout en œuvre pour installer un climat de confiance dans lequel les personnes peuvent se sentir safe pour être elles-mêmes.

Ce format est également à retrouver dans le Bold Magazine #82, à lire en ligne ici!

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