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Le design comme acteur social avec Ruth.Atelier

Par Fabien Rodrigues / Photo : Navid Razvi

Ruth Lorang incarne parfaitement la nouvelle génération de jeunes designers luxembourgeois à l’identité affirmée. Son ruth.atelier œuvre de manière précise et complémentaire dans trois axes de la profession de designer, les utilisant en quinconce et avec un brin d’effronterie pour des projets personnels ou répondant aux besoins de ses clients, avec une dimension sociale indéfectible…

À 29 ans, Ruth Lorang semble avoir trouvé le chemin qui lui convient, dans son bureau du Design Hub, son chien adoré à ses pieds. En arriver est là est passé par un parcours qu’elle qualifie de « classique » mais qui marque une détermination et l’envie de se donner les moyens de faire ce qu’elle souhaite de sa vie… La jeune Luxembourgeoise a ainsi tout d’abord étudié dans une des grandes institutions créatives du Benelux, La Cambre à Bruxelles, une formation pendant laquelle elle effectue un semestre à l’étranger, à l’occurrence dans cette grande ville de design qu’est Milan.

Pourtant, elle se pose beaucoup de question à l’époque de son cursus secondaire, et notamment en 4e, une année pivot… Que choisir pour la suite ? Que s’imaginer faire pendant toute une vie ou presque ? « Je n’étais pas du tout branchée par les arts visuels étant enfant, j’étais plutôt musicienne et j’ai même fait le Conservatoire. Mais avec un papa architecte qui avait son bureau à la maison et des parents passionnés d’art, j’ai tout de même été baigné dans cette atmosphère graphique dès le plus jeune âge ».

Amener le changement

Elle hésite jusque tard entre des études artistiques et Sciences Po, « parce que j’avais envie de générer un impact social ». Mais elle se rend aussi vite compte que ce changement peut se faire par le design et prend donc la route de Bruxelles, où elle apprendra surtout beaucoup sur la conceptualisation, l’histoire et la philosophie de l’architecture d’intérieur, plus que l’utilisation d’outils concrets – une tendance persistante dans certains établissements prestigieux d’enseignement supérieur belge où le corps enseignant peut tendre à rester engoncé dans l’aspect théorique de leurs matières… Suite à l’obtention de son diplôme, elle continue de se former seule pour « trouver des solutions pragmatiques » et plonge tête la première dans plusieurs jobs en tant que freelance, dans les secteurs de l’art et de la culture de manière plus générale, puis fonde Mad Trix, une « entreprise d’art digital » basée au 1535°C de Differdange. Si la société existe toujours, Ruth a quitté l’aventure en 2023 pour se concentrer à temps plein sur ses propres projets.

Aujourd’hui, elle se définit comme une designer multidisciplinaire : « j’aime travailler dans plusieurs branches du design, que je dénomme toujours espace, volume et concept. Le premier concerne plutôt le design d’intérieur et l’aménagement, le second concerne le mobilier et autres objets produits quand le dernier s’adresse au design graphique, à l’identité visuelle et à l’illustration… On peut imaginer que cela part parfois dans tous les sens, mais ce qui lie le tout, c’est vraiment cette patte personnelle colorée et reconnaissable qui se retrouve dans toutes mes réalisations ».

Tabler sur l’esthétisme et l’intergénérationnel

Si elle affirme tenir à tout prix à travailler en permanence sur ces trois axes et plancher sur des projets très variés – tant qu’ils sont alignés avec ses valeurs, un des grands projets actuels de ruth.atelier est Fabienne, un mobilier modulable qui attire l’œil immédiatement, notamment au dernier marché des créateurs Augenschmauss organisé aux Rotondes en décembre dernier. « Il s’agit d’une réalisation évolutive et multigénérationnelle, qui peut être utilisée par toutes et tous, enfants, adultes et seniors. Son utilisation est elle aussi modulable : Fabienne peut devenir une table, un tabouret, une console d’appoint », nous confie Ruth. En effet, la combinaison des différents éléments constitutifs permet une infinité de variations colorées au fil du temps et des besoins et on imagine sans mal ce joli produit dans les intérieurs les plus pointus, mais aussi dans des petits espaces : « j’ai observé en fait un besoin actuel, avec de jeunes parents qui vivent dans des petits appartements et qui ont un vrai besoin de cet aspect modulable ! ».

Le but – ou plutôt un des buts : ne pas séparer le monde de l’enfant et le monde de l’adulte pour créer, u contraire, un espace de vie commune, d’échange voire même de pédagogie, en invitant les plus petits à déplacer un tabouret de manière autonome par exemple. Côté production, elle est à 100% locale et intègre une plus-value sociétale puisque Ruth travaille avec des ateliers protégés. Le choix des matériaux est également très réfléchi en amont afin d’être le plus éthique possible, tout cela pour – de l’autre côté du processus – toucher une clientèle sensible à cette démarche, présente comme future…

Collaborer et réfléchir

Parmi les projets récents qui ont beaucoup enthousiasmé Ruth : l’aménagement de l’intérieur, mais aussi la participation à la création même de l’identité de la Petite Épicerie, sur la route de Thionville, « aux côtés d’un jeune patron qui a décidé de quitter une carrière dans la finance pour ouvrir cette épicerie fine et durable et qui a fait confiance à mon approche graphique pour cela ». Un projet qui lui a donc permis, comme elle le souhaite, de combiner deux de ses savoir-faire, deux de ses fameux axes thématiques. Sur le volet purement conceptuel, ruth.atelier a également été choisi pour la réalisation de la pochette de l’album « Sea Change » du groupe Marly Marques Quintet, troisième opus résultat d’une résidence artistique au Centre Culturel opderschmelz à Dudelange.

Dans un avenir proche, un nouveau meuble modulable baptisé Anouk va voir le jour d’ici le mois de mai et quelques collaborations avec d’autres créateurs sont en cours de finalisation ou de concrétisation. L’avenir, il se fera à Hollerich – ou pas ! Car sur le papier, c’est évidemment « une occasion unique de sortir un peu de chez moi, d’être entourée de professionnels créatifs et d’interagir avec eux, ce qui ne peut être que bénéfique pour mon travail », confie Ruth. Un enthousiasme que partagent ses « colocataires », qui apprécient toutes et tous la configuration des lieux et l’opportunité offerte.

Mais n’oublions pas que les bureaux proposés le sont pour le moment à durée déterminée d’un an, et que le quartier est encore sujet au vandalisme de manière régulière. Le restaurant Mad About Peru, qui jouxte le Design Hub, a été cambriolé trois fois en un an, et lors de mon arrivée pour cette interview, la vitrine même de l’ancien bar Décibel, qui abrite entre autres le bureau de ruth.atelier, montre les marques d’une tentative de bris. La pérennisation de ce type de projets vertueux devra donc sans doute passer par un travail plus structurel sur la vie du quartier de Hollerich, et/ou par la duplication du dispositif dans d’autres quartiers ou communes luxembourgeoises, afin de stimuler et surtout d’inclure le plus de jeunes talents possibles…

Ce format est également à retrouver dans Bold Magazine #84, à lire en ligne ici!

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