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Socialement, le gaming, sur ou souscoté ?

Par Sébastien Vecrin

À travers 4 décennies, des aventures rocambolesques mais aussi sa rencontre avec les 2 frangins fondateurs de Fit4Gaming Luxembourg, Sébastien Vecrin s’interroge sur le gaming comme vecteur social sur/souscoté, de solidarité et d’adulescence programmée… Alors, ready player one?

Les jeux vidéo isolent, rendent les jeunes violents, suicidaires et les conduisent tout droit vers un échec scolaire. Bonne mère ! On dirait les gros titres alarmants de la une du Figaro en 1993. Aujourd’hui, le gaming est cool. Point. Et les jumeaux de forward ne vont pas nous contredire : sous le label Fit4Gaming, Joe et Kevin organisent toute cette année des ateliers à Differdange, Esch, Luxembourg et Dudelange pour intégrer, par le gaming, les gamins issus de l’immigration et/ou exclus socialement.

Premier contact avec le gaming, 1982. Ok, bommer ! Le bruit court dans mon village qu’un gosse de riche a reçu pour Noël une console Atari avec un jeu de tennis révolutionnaire. En ni une ni deux, je cours comme un dératé chez le nanti pour goûter au futur. Tous les kids du bled sont déjà là, amassés dans le salon, les yeux écarquillés. Sur la télé du salon, deux barres verticales se renvoient un carré qui fait office de balle. Moi qui m’imaginais McEnroe, short moulant et bandeau dans la crinière, en train d’envoyer des aces à Lendl, je suis un peu déçu. En fait, le jeu se nomme Pong et il s’agit de ping-pong et non de tennis. Je retourne fissa dans les champs construire des cabanes dans les arbres avec mes vrais gars. Le gaming, décidément très surcoté, attendra.

Macao ti plamb di maté

Quelques années plus tard, je vais au collège à la grande ville. Sur le trajet depuis la gare routière jusqu’au bahut, je passe devant le Macao, une salle d’arcades qui ouvre tôt et ferme tard. Comme je suis un aventurier, je me laisse tenter par cette boîte de pandore. Ambiance très sombre et très glauque, des gosses de mon âge qui fument des clopes, des racailles en Adidas Challenger qui me lancent « fils de pute, file-moi cinq francs ou je te casse les dents » et des dizaines de bornes d’arcade toutes plus sublimes les unes que les autres. Mario Bros, Wonder Boy, Kung-Fu Master, Shinobi et une kyrielle de super héros pixelisés illuminent mes pupilles de villageois. Une partie coûte un crédit, soit deux francs français. Pour cinq balles tu reçois trois crédits. J’en ai 20 dans la poche que mamounette m’a donné pour mon McDo du midi. Je glisse cinq boules dans Ghosts’n Goblins. Quatre minutes plus tard, le petit chevalier que j’incarne, en quête de délivrer sa princesse kidnappée par un démon, s’est fait buter neuf fois de suite par des morts-vivants qui jaillissent sournoisement des entrailles des ténèbres. Je remets une pièce dans la machine et peaufine légèrement mes skills. À savoir qu’historiquement, Ghosts’n Goblins reste le jeu plus dur de l’histoire du gaming.

Ce jour-là, j’arrive en retard en cours, les poches vides et le cerveau vrillé. Les mois suivants, j’adopte une routine finement huilée. Avec un budget quotidien de 20 balles pour mon lunch, je lâche cinq francs le matin avant l’école pour trois crédits, 10 pendant la pause déjeuner et mes cinq derniers deniers le soir, juste avant de grimper dans le bus. Ce qu’il faut en retenir : je bosse moins mes devoirs, je crève la dalle, je m’habille désormais moi aussi en Challenger et j’ai finalement pété le nez de ceux qui voulaient me racketter le premier jour. Grosso modo, si tu ne veux pas te faire voler ta tune aux arcades, la baston fait partie du folklore local. Cependant, le jeu en vaut la chandelle. Mes coups de front IRL sont presque devenus aussi stylés que ceux que je balance dans Double Dragon. Cette petite légende urbaine commence à se répandre comme une traînée de poudre dans la cour de récréation et je deviens rapidement le maître des clefs de ce palace local de l’entertainment. J’emmène donc désormais mes potes collégiens un brin trop bourges et un brin trop froussards flirter avec le gaming. Et, don inespéré du ciel, des filles de ma classe se greffent rapidement à nos virées jeux vidéo. Firmament du swag. De plus, cerise sur ce ghetto électronique, grâce à mon habileté aux jeux, j’ai constamment une dizaine de viewers derrière mes épaules qui matent religieusement comment j’enchaîne les niveaux. Damn, c’est Twitch avant l’heure, sans envoyer des Cheers et des Bits. Le gaming, fin des eighties, largement sous-coté socialement !  

Sega, c’est plus fort que toi

Je vous passe mes années Amstrad Magazine et mes premiers codes dans le noir de ma chambre en langage Basic. Question de décence. Par contre un jour, à la fin du cours d’histoire-géo, un petit blindax de ma classe se vante de posséder chez lui une machine qui reproduit à l’identique la qualité des jeux d’arcade. Comme je pèse dans le game, il m’invite à découvrir le Graal. Déjà, chez lui, en plein centre-ville, ce n’est pas comme chez moi : il a un jacuzzi comme Arnold et Willy, et surtout il a vraiment cette console Sega Master System, rouge et noire, belle et majestueuse. Il a deux jeux, Choplifter et Space Harrier. Le petit Richou au bain à bulles devient illico mon BFF. Les jeux sont moins beaux qu’en arcade, mais on peut y jouer indéfiniment. Plus besoin de pièces de cinq balles. Le paradis ou presque…

Mes parents relâchent un billet et j’obtiens ma toute première Sega. Petit bémol, papa et maman ne captent pas immédiatement que la console se branche sur le seul poste de télévision du foyer. Forcément, à l’heure de La Petite Maison dans la prairie et du journal de 20 h, des tensions se créent au sein du cocon familial. Je convertis tous mes amis, mes cousins, mon village, mon collège à la Segamania. Et surtout pas à Nintendo, l’autre team de gamers de cette ère bénie. Je trouve les Mario trop enfantins et je préfère le sang d’une tête décapitée dans Golden Axe avec le nain qui met un coup de pied dedans. Je traîne même avec le fils du resto japonais à côté du Macao – qui finalement ferme ses portes, car les jeunes jouent désormais sur leur console de salon… Il peut importer des jeux nippons sous le manteau avec six mois d’avance. Je le nomme directement colonel de notre escouade.

En 1990, la Sega Mega Drive avec ses 16 bits (je n’ose même pas une vanne) débarque en Europe, avec notamment quelques petits stress d’approvisionnement (comme la PS5 aujourd’hui). Vraisemblablement, selon une légende urbaine, elle serait disponible dans un shop de Luxembourg-Ville avec un vrai hélicoptère sur le toit. Avec ma mère au volant de sa 4L, on tourne des heures sans jamais trouver cet Eldorado. Je réussis finalement à trouver ma Mega Drive dans un supermarché de seconde zone. Les jeux sont jouissifs, cools et fluides. Le hérisson Sonic, la nouvelle mascotte de Sega, est speed comme on aime pour avoir les yeux injectés de sang, neuf heures d’affilée devant son écran. D’autres super licences de jeux suivront. Je suis évidemment à fond, mais je commence tout doucement à faire de plus en plus de skate, à sortir en club et à envisager de rouler des pelles. Le vent tourne, je joue moins. Je loupe le coche de la PlayStation qui, avec Sony, en 1994 monte le level encore d’un cran. J’étais loin de savoir que des années plus tard, un des Graals sociaux serait d’être Top 1 à Fortnite ou de terrasser Malenia dans Elder Ring…

Ça va péter !   

Début des années 2000, je suis devenu DJ (ouais) et j’arrive un peu en avance chez un ami musicien pour peaufiner un track de techno hardcore. Il termine son déjeuner. Sur son ordinateur, Counter Strike est lancé. Entre deux bouchées de spaghettis ketchup, il me lance : « vas-y, essaie, tu verras c’est cool ». Perplexe, je bouge la souris en fronçant les sourcils. J’ai un AK-47 dans la mano et des antiterroristes essaient de me faire sauter la cafetière. Pouah, la jouabilité est top. Le délire de pouvoir faire évoluer son champ de vision avec le combo clavier-souris est très sympa et, surtout, le fait de jouer en même temps (et donc d’interagir), sur la même partie, avec d’autres personnes connectées chez eux, c’est le futur du futur. Après notre session studio, impossible de me sortir Counter Strike de la tête… Dix piges plus tard, casque-micro vissé sur la tête, souris Razer qui clignote dans la main, je braille sur un Estonien de 11 ans qui ne m’a pas couvert lors d’un rush dans le marché sur la map Italy. Ma femme, exaspérée, lève les yeux aux ciels. J’ai 38 ans et je m’autorise deux heures quotidiennes de Counter Strike, à l’heure de l’apéro, avec des coéquipiers virtuels. Ce n’est pas méga glorieux, mais je passe de très bons moments. Le gaming on line, dans les 2000, socialement sous-coté.

Fit4Gaming

Fin décembre 2022, je n’ai ni Xbox, ni PS5, juste une borne d’arcades avec Ghosts ‘n Goblins dans mon salon que j’allume rarement. Cette madeleine de Proust fait office de revanche sur toutes ces années où mourir trois fois de suite me coûtait deux balles. Chaque matin, quand je passe devant, je fais un high five à l’enfant de 12 ans que j’étais avec ses 20 francs dans la poche et son regard rempli d’étoiles. D’ailleurs, en parlant de regard rempli d’étoiles, je le retrouve aussi quand je vois ce que font les jumeaux Hoffmann, les loustics derrière la société de esport forward, qu’ils pilotent de main de maître depuis le 1535° à Differdange. Les frères, également membres actifs de la Luxembourg Esports Federation (LESF), reviennent de Bali et de Turquie pour tenter d’intégrer les pro gamers du Grand-Duché au circuit international. Mais leur coup d’éclat et d’État du moment, c’est Fit4Gaming, une salle de jeux avec des PCs qui clignotent de partout et des PS5 flambant neuves, Grand Rue, en plein Differdange.

Le concept est gratuit, et permet aux jeunes issus de l’immigration et/ou des quartiers défavorisés de s’intégrer et d’échanger avec les autres jeunes autour d’une partie de FIFA, Fortnite, League of Legends ou Rocket League. Arnaud, l’éducateur bien cool de forward, veille au grain avec beaucoup de bienveillance. Une telle initiative solidaire réchauffe le cœur… même si me faire humilier par un petit Ukrainien de combo avec un petit Capverdien sur Fortnite m’a laissé un goût amer dans la bouche. On ne respecte plus les anciens dans ce pays ? Au fait, le projet Fit4Gaming, soutenu par le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région, débarque également en 2023 près de chez toi (Luxembourg, Esch, Dudelange, etc.). Mate leur compte Instagram, tu trouveras toutes les infos.

Un format à retrouver également dans Bold Magazine #78, consultable en ligne ici.

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